Concurrence et régulation des plateformes : publication de l'étude de cas sur l’interopérabilité des réseaux sociaux

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Contexte

Face aux enjeux soulevés par l’économie numérique, de nombreuses réflexions sont en cours au niveau national et européen pour réguler les grandes plateformes, notamment non européennes. Dans ce cadre, plusieurs outils potentiels de régulation sont mis en exergue, en particulier l’interopérabilité des services.

Parfois présentée comme une solution miracle, l’interopérabilité ne va pas de soi. Il faut  déterminer quels seraient ses objectifs et sur quel(s) marché(s) elle devrait être mise en œuvre. C’est la raison pour laquelle le Conseil a estimé nécessaire de mener une étude de cas concrète pour éclairer le débat sur la pertinence de cette mesure. Il a choisi de se focaliser sur les plateformes de réseaux sociaux qui sont souvent visées par les tenants de l’interopérabilité, en tant que services de communication.

Recommandations

Sur le principe d’une régulation de l’interopérabilité des réseaux sociaux

Au regard des risques que l’interopérabilité pourrait faire peser sur les réseaux sociaux et les utilisateurs, le Conseil estime qu’il serait préférable d’examiner, dans un premier temps, les effets de la mise en œuvre du droit à la portabilité des données, permettant aux utilisateurs de transférer leurs données d’un réseau social à un autre.

À l’issue de cet examen, si le Gouvernement souhaitait introduire une obligation d’interopérabilité, le Conseil estime que cette initiative devrait s’inscrire dans le cadre d’une réforme plus globale de la régulation des plateformes numériques. En effet, cet outil n’a pas vocation à être autosuffisant au vu des objectifs de politiques publiques poursuivis et devrait compter parmis un panel d’outils, à la disposition des régulateurs nationaux par exemple.

Aussi, la mise en place d’une régulation ex ante et asymétrique apparaît nécessaire, en complément du droit de la concurrence, afin de pouvoir imposer des règles spécifiques aux grandes plateformes dites « systémiques ». De plus, cette régulation devrait prendre en compte les aspects économiques et concurrentiels, mais également sociétaux et consuméristes liés aux modèles d’affaires des grandes plateformes.

En tout état de cause, une telle régulation ne pourrait se faire de façon cohérente et harmonisée qu’à l’échelle européenne, notamment dans le cadre du Digital Services Act, en complément du règlement P2B. Ainsi, une régulation spécifique pourrait viser les plateformes systémiques y compris dans leurs relations avec les consommateurs.

Enfin, au vu des risques précités pesant sur l’écosystème, le Conseil considère qu’une concertation préalable avec l’ensemble de l’écosystème est nécessaire avant d’introduire un tel outil dans le paysage juridique.

Sur la mise en œuvre d’une régulation de l’interopérabilité des réseaux sociaux

Si l’interopérabilité des réseaux sociaux était introduite dans le cadre d’une régulation plus globale des plateformes, les principes de nécessité et de proportionnalité devraient guider sa mise en place, à plusieurs égards.

En premier lieu, le périmètre de l’obligation d’interopérabilité devrait se limiter strictement aux grands réseaux sociaux afin de laisser les plus petites plateformes libres d’en bénéficier ou non, selon leurs modèles d’affaires, leurs stratégies de développement etc. Si les critères d’identification de ces réseaux sociaux « systémiques » ou « structurants » devaient principalement prendre en compte l’aspect quantitatif (nombre d’utilisateurs, part de marché etc.), il conviendrait également de prendre en compte des aspects plus qualitatifs, tels que la détention de données essentielles, ou l’impact sur le système cognitif des utilisateurs et la dépendance, voire l’addiction qui en découle.

Afin de respecter ce périmètre, l’ouverture d’APIs par les grandes plateformes pourrait être pertinente afin de viser spécifiquement une catégorie d’acteurs. Néanmoins, afin d’éviter que celles-ci ne maintiennent un contrôle sur ces APIs et n’imposent un standard aux plus petites plateformes, il semblerait préférable de recourir à un protocole normalisé. Un protocole de standards ou d’APIs pourrait être élaboré et imposé par l’autorité de régulation désignée, qui serait chargée de contrôler sa mise en œuvre par les grandes plateformes.

En deuxième lieu, le degré de l’obligation d’interopérabilité devrait être minimal, compte tenu des impacts négatifs potentiels relevés par le Conseil, aussi bien sur les réseaux sociaux que sur les utilisateurs. Ainsi, une approche graduelle devrait être privilégiée, en commençant par introduire une option allégée (option 2 : possibilité d’envoyer et de recevoir des messages instantanés ou option 3.1 possibilité de consulter des contenus). Au terme d’un suivi et d’une évaluation des effets sur le marché sur une période donnée, la mesure pourrait alors être renouvelée, renforcée ou retirée sur décision de la Commission européenne, en accord avec les autorités de régulation nationale compétentes.

En dernier lieu, l’obligation d’interopérabilité devrait s’inscrire dans un cadre général, en laissant une souplesse aux régulateurs nationaux et aux conventions entre plateformes, sur le modèle des télécommunications. L’obligation pourrait être fondée sur un principe général d’accès aux informations nécessaires à la mise en place de l’interopérabilité, comme en droit d’auteur ou en droit des communications électroniques pour l’accès au réseau.

Le choix du régulateur compétent pourrait varier selon les objectifs et les fonctionnalités concernées par l’interopérabilité. En effet, la circulation des données qu’impliquerait l’interopérabilité est une problématique à la croisée du droit des données personnelles, du droit de la concurrence et du droit de la consommation, voire du droit des communications électroniques pour les messages instantanés. Si l’on estime que l’interopérabilité poursuit avant tout des objectifs concurrentiels sur le marché des réseaux sociaux, l’Autorité de la concurrence pourrait être chargée du contrôle du respect de ces obligations de façon ex ante, à l’instar du contrôle des concentrations. Toutefois, l’application du droit de la concurrence n’est pas automatique et demeure conditionnée au comportement de l’entreprise (exemple : refus ou restriction de l’interopérabilité des services).

Dans une approche plus consumériste, notamment au vu de l’objectif de liberté de l’utilisateur de choisir les contenus et services sur un Internet ouvert, la mise en œuvre de l’interopérabilité des réseaux sociaux pourrait s’inscrire dans les missions de l’Arcep. À cet égard, la proposition de loi visant à garantir le choix du consommateur dans le cyberespace entend lui confier le pouvoir d’imposer aux prestataires de services numériques l’obligation de lever les barrières, techniques ou juridiques, à l’interopérabilité des services et de sanctionner ces derniers le cas échéant. En particulier, la compétence de l’Arcep apparaît naturelle pour assurer l’interopérabilité des messageries instantanées (option 2 de l’étude), en tant que « gardien des réseaux d’échanges en France ».

Enfin, il est possible d’envisager la régulation sous l’angle des contenus audiovisuels. En effet, la directive SMA a étendu le périmètre de la régulation audiovisuelle aux plateformes de partage de vidéos et aux réseaux sociaux, dès lors que la fourniture de vidéos par l’utilisateur constituait une fonctionnalité essentielle dudit réseau. En outre, à l’échelle nationale, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique confie des missions étendues à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM issue de la fusion du CSA et de l’Hadopi). Si l’interopérabilité devait concerner les contenus (option 3 de l’étude), il pourrait alors être pertinent de confier sa régulation à l’ARCOM.

En tout état de cause, le régulateur compétent devrait travailler en coordination avec la CNIL dans la mise en œuvre de cette régulation afin de s’assurer du respect de la protection des données personnelles et de la vie privée des individus ainsi que de l’effectivité de leur liberté de choix, grâce à un consentement libre et éclairé.

Méthodologie

En plus d’une analyse de la littérature scientifique existante, le Conseil national du numérique a mené une quinzaine d’auditions avec des informaticiens, des juristes, des membres de l’administration et d’autorités administratives indépendantes, ainsi que divers réseaux sociaux, afin de mieux cerner les enjeux et les problématiques de l’interopérabilité. Il s’est également appuyé sur la consultation citoyenne relative à la régulation économique et concurrentielle qu’il a organisé dans le cadre des états généraux du numérique.

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