A Numa, le samedi 4 octobre 2014
seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mais aussi, universitaires, membres d’associations, créateurs de startup, chercheurs, acteurs des territoires, "disrupteurs" de toutes sortes qui êtes ici chez vous au Numa, bref, citoyens d’une République numérique, comme dirait Axelle Lemaire, merci de votre présence ici et en ligne !
Au moment de lancer cette grande concertation sur le numérique, je voudrais saluer votre audace, Monsieur le Premier ministre.
Lorsque Fleur Pellerin a installé le nouveau Conseil national du numérique, elle nous a invité à devenir le « poil a grater numérique du gouvernement ». Je crois que nous l’avons été. Neutralité du net, nouvelles fractures numériques appelant à une politique d’inclusion numérique, loyauté des plateformes, soutien aux startup, fiscalité à l’heure du numérique, transformation numérique de l’école de Jules Ferry, mais aussi loi de programmation militaire ou loi de lutte contre le terrorisme, nous avons tenté depuis un an et demi, en tout indépendance, de peser sur les décisions du gouvernement en la matière. Nous avons souvent été écoutés. Pas tout le temps non plus. C’est le jeu.
On aime à dire que le « logiciel dévore le monde ». La dernière plaisanterie a la Silicon Valley en ce moment consiste à décrire l’automobile comme un smartphone avec 4 roues : la numérisation de notre économie, y compris dans ce qu’elle a de plus traditionnel et de plus industriel est bien en marche. Les enjeux sont donc colossaux, et globaux. Le numérique n’est plus un secteur parmi d’autres. Il s’instille dans toutes les politiques publiques. Il est, par nature, interministériel.
C’est pour cela que nous sommes venus vous voir pour plaider pour une remise a plat globale qui, au préalable, devrait s’appuyer sur une concertation avec toutes les parties prenantes de cette révolution numérique : entreprises, associations, experts, citoyens, la société toute entière.
Ce que vous inaugurez ici, Monsieur le Premier ministre, est une première. A ma connaissance, dans aucun autre pays n’a été lancée une concertation à une telle échelle, visant à un tel co-design des politiques publiques. Mais au delà de la loi, et des politiques publiques, il s’agit également de fournir au Gouvernement des idées, des recommandations et une légitimité pour porter au niveau européen une nouvelle politique industrielle numérique. 14 ans après le désastre de la stratégie de Lisbonne, il est temps. La France peut en prendre l’initiative. Je sais que vous y êtes sensible, que vous faites tout pour porter votre volontarisme à Bruxelles.
Cela étant dit, loin de moi l’idée de verser dans le catastrophisme. Il n’y a pas de retard français dans le numérique : la société française, sa jeunesse, ses startup, ses chercheurs, ses entrepreneurs, ses élèves, ses profs, sont parmi les plus connectés, avec les usages numériques parmi les plus développés, au monde. En revanche, les institutions, qu’elles soient publiques ou privées ne suivent pas toujours. La société est en avance. Ce décalage doit être résorbé.
Mais pour cela, la France possède un atout fort, peut-être unique. La France est un pays de râleurs, d’empêcheurs de tourner en rond ; qu’il n’est pas toujours facile de gouverner. Les Français sont des révolutionnaires, et je dirais, des hackers dans l’âme. Peu de pays sont donc aussi bien positionnés que le nôtre pour prendre la vague numérique, pour surfer dessus. Car cette disruption, ce gout révolutionnaire font partie de notre ADN, de notre culture.
Or, la révolution numérique opère, en ce moment même, une gigantesque redistribution de cartes. Un énorme New Deal culturel, économique, politique, social, et ce à l’échelle de la planète. Bernard Stiegler qui est membre du CNNum et l’un des plus grands penseurs du numérique, nous dit souvent : « la révolution numérique est aussi importante à l’échelle de l’histoire de l’humanité que le passage de la culture orale à la culture écrite ». Pour qui ne se satisfaisait pas totalement du monde tel qu’il est, pour les Hommes de progrès dont vous êtes, Monsieur le Premier ministre, il s’agit d’une opportunité historique pour changer le monde, pour le transformer.
Pour peu que l’on se saisisse de ses leviers, que les institutions accompagnent ce mouvement. Pour peu que l’on comprenne les vrais ressorts de cette révolution sans précédents : plus qu’une révolution industrielle, mais une révolution culturelle, économique, politique, sociale et je dirai même cognitive : nous changeons notre manière même de penser.
Monsieur le Premier ministre, je sais que vous admirez Georges Clemenceau et qu’il est pour vous un modèle. C’était un civil mais il a pourtant su porter l’effort de guerre à un moment ou notre pays était au bord de l’abime. On lui prête d’ailleurs cette phrase : "La guerre est une chose trop grave et importante pour la laisser aux militaires".
Alors si je voulais le paraphraser, je déclinerais : la révolution numérique est une chose trop importante pour la laisser aux grandes plateformes américaines ou chinoises, ou même aux geeks, dont je suis. C’est aux citoyens d’une « république numérique » à laquelle vous êtes attaché, de décider dans quelle société numérique nous voulons vivre. Merci de nous en offrir l’opportunité dans cette grande concertation qui s’ouvre.
Benoît THIEULIN, Président du Conseil national du numérique
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Vous pouvez participer à la concertation ici : https://contribuez.cnnumerique.fr