Rencontre avec le CLEMI : des ressources pour (s')éduquer aux médias

Nous avons rencontré Virginie Sassoon et Isabelle Féroc Dumez, directrice adjointe et directrice scientifique et pédagogique du CLEMI, le Centre de liaison de l’éducation aux médias et à l’information. Fiche d’identité d’une institution qui accompagne les enseignants, les élèves et leurs familles.

Le CLEMI en un clin d'œil

4 missions

Un événement phare : la semaine de la presse et des médias dans l’école

Un service du Ministère de l’Éducation nationale

  1. Former les enseignants ;
     
  2. Produire des ressources pédagogiques ;
     
  3. Accompagner la création de médias dans les établissements (sous la forme de radios, journaux, web TV, réseaux sociaux) ;
     
  4. Organiser des événements pour faire le lien entre le monde de l’école et le monde des médias.

Une action pédagogique qui mobilise chaque année plus de quatre millions d’élèves. En 2021 et 2022, elle a pour thématique “s’informer pour comprendre le Monde”, l’occasion pour les enseignants de proposer des activités pédagogiques dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information (EMI).

Le CLEMI est une structure affiliée au réseau Canopé, un établissement public sous la tutelle du Ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, dont le rôle est de produire, d'éditer et de diffuser des ressources pédagogiques à destination des enseignants.

 

Un éventail de ressources pour outiller les enseignants

Le CLEMI met en place des actions de formation, continue comme initiale, à destination des enseignants et met à leur disposition des ressources destinées à les accompagner en classe. En voici quelques exemples :

1. Des actions de formation, comme un webinaire dédié à cette question de la captation de l’attention, du concept à la pédagogie et qui est aujourd’hui disponible en ligne.

2. Des ressources vidéo, comme le Déclic critique. Il s’agit d’un kit pédagogique basé sur une ressource médiatique authentique, mise à la disposition des enseignants. Autour de cette ressource, ils peuvent monter une expérimentation en classe, pour capter la compréhension et les réactions des élèves.

3. Une exposition, organisée en collaboration avec la Fondation EDF, qui réunit une trentaine d’artistes contemporains et interroge notre rapport à l’information et à la désinformation. La démarche a l’intérêt de ne pas se situer dans une approche morale du vrai et du faux, ni de la captation de l’attention. Elle permet également de travailler sur d’autres supports que les images ou les contenus médiatiques : ici, ce sont des supports produits par des artistes, qui permettent d’aborder ces questions avec plus d’émotion et de poésie.

4. Une série, Dopamine coproduite avec Arte, à destination des adolescents, traitant de différentes thématiques autour des plateformes numériques les plus utilisées. Elle est accompagnée d’un dossier pédagogique, pour aider les enseignants à travailler en classe à partir de ces différents épisodes.

5. Une brochure annuelle pour l’EMI, distribuée dans les INSPE (les instituts de formation initiale des enseignants). Elle touche les publics du premier et du second degré, avec des “fiches info” destinées à former les enseignants sur ces questions, des fiches pédagogiques qui proposent des activités à mener en classe avec les élèves et des fiches ressources, sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour une étude de cas autour d’une ressource médiatique authentique, susceptible d’engendrer des problématiques de réception, de compréhension.

 

Des supports originaux pour mobiliser les élèves

 

Une bande dessinée, à destination des préados et des ados, qui plonge dans la tête d’une adolescente pour montrer à quel point l’usage du smartphone peut générer des tensions et débats internes, sans jugement de valeur. Elle aborde par exemple :

  • la surcharge cognitive,
  • la réception de l’information,
  • l’identité numérique,
  • la nomophobie (la crainte d’être coupé de son outil numérique, souvent qualifiée par le terme anglais de fear of missing out ou FOMO).

Ce format plus accessible permet aux élèves de se plonger dans cette problématique de façon moins formelle qu’un cours sur l’éducation aux médias.

Des supports un peu plus ludiques tels que Classe investigation, un boîtier qui permet de plonger les élèves dans une enquête immersive de type journalistique. Les élèves sont invités à récupérer des ressources, écouter des témoignages et monter une enquête pour, à la fin, produire une prise de parole, comme s’ils étaient eux-mêmes journalistes. Ils découvrent ainsi comment se fabrique l’information, et comment ils peuvent, eux aussi, la produire, avec une méthode, en vérifiant et en croisant les sources.

 

TROIS QUESTIONS À VIRGINIE SASSOON ET ISABELLE FEROC-DUMEZ

Comment intégrez-vous les problématiques de l’attention à vos travaux ?

Dans le domaine de l’éducation, la thématique de l’attention est importante et couvre des enjeux de différentes natures, à commencer par la captation et le maintien de l’attention des élèves en classe dans des situations d’apprentissage. C’est l’une de nos préoccupations dans le soutien de l’éducation aux médias et à l’information. Nous travaillons à favoriser une pédagogie active dans laquelle l’élève est acteur de ses apprentissages, avec la meilleure des attentions possibles.

En termes de formation professionnelle, il est important de faire en sorte que les enseignants soient mieux outillés pour aborder la métacognition, c'est-à-dire qu’ils disposent de connaissances sur le fonctionnement du cerveau et sur la manière d’aider les élèves à mobiliser leur attention, à augmenter leurs capacités de concentration et de mémorisation. Tous ces processus cognitifs sont en jeu pour une éducation critique aux médias.

Derrière ces préoccupations pédagogiques, ce qui nous intéresse, c’est de voir comment les médias et le numérique, notamment à travers les pratiques informationnelles, communicationnelles et de divertissement des jeunes, en classe et en dehors, peuvent avoir un impact sur leur attention.

Nous suivons deux axes importants : d’une part, la dimension d’impact sur le psychisme et la cognition des élèves, de façon individuelle, et d’autre part, la citoyenneté. Derrière cette relation au monde que conditionnent le numérique et les médias, il y a des vrais enjeux de citoyenneté et de vivre ensemble, historiquement importants pour le CLEMI.

Comment cela se traduit-il dans les ressources que vous proposez ?

Nous ne travaillons pas forcément l’attention de manière directe, mais diverses entrées de l’EMI nous permettent de l’aborder. Trois problématiques éducatives nous semblent prioritaires.

En premier lieu, un travail autour de l’image, de l’éducation au regard : être capable de lire les différentes images médiatiques, mais aussi de les contextualiser au sein du circuit de l’information, qui est modelé par internet et les biais d’interprétation.

Ensuite, la réception d’information : faire en sorte que les élèves comprennent la manière dont elle se construit, comment fonctionne le circuit de l’information, qu’ils soient capables de distinguer ce qui est de l’information et ce qui n’en est pas, et notamment les phénomènes de communication, et qu’ils comprennent les phénomènes d’influence, voire de manipulation, qui sont générés par ce nouveau circuit de l’information.

La troisième problématique tourne autour de la donnée, c’est un champ nouveau pour le CLEMI, avec une attention sur le big data et les usages faits de ces quantités de données qui génèrent une économie de l’attention assez nouvelle. Il s’agit d’aborder les questions afférentes à l’identité numérique et aux données personnelles, et évidemment le fonctionnement des algorithmes. Sont ainsi abordés les algorithmes de recommandation des plateformes, qui vont parfois enfermer dans des bulles de filtre et créer un certain nombre de biais cognitifs dans l’interprétation de l’information qui vient aux élèves.

Quelle est la place des familles dans tout cela ?

Nous avons la conviction que la question de la co-éducation, à la fois par l’école et par les familles, est centrale. C’est ce qui nous a conduit à proposer avec nos partenaires un certain nombre de ressources pour sensibiliser les familles à ces problématiques. Nous avons par exemple publié le Guide de la Famille tout écran, tiré à 80 000 exemplaires et décliné en une série de courts spots diffusés sur les antennes de France TV.

Il est parfois difficile d’inclure les familles dans la communauté éducative, nous avons un besoin de communication vers elles pour qu’elles comprennent ces enjeux et adhèrent au projet, qu’elles s’engagent davantage. Ce qu’on fait en classe peut être complété à la maison, les familles sont indispensables : les enseignants transmettent du savoir mais les parents aussi ont une présence éducative.

Nous avons à ce niveau une contrainte forte : nous adresser à tous les élèves, avec un souci d’égalité d’accès. Nous n’ignorons pas la fracture numérique et les difficultés d’accès à ces supports d’un certain nombre de familles. Notre contrainte, c’est de pouvoir parler du numérique sans le numérique, ce qui implique alors de passer par des supports imprimés. Mais nous nous sommes également rendus compte que nos publications imprimées ne touchaient pas forcément les parents qui ne sont pas lecteurs. Pour cette raison, les modules vidéo sont intéressants. Nous préparons aussi une exposition itinérante dans les centres sociaux, pour interpeller et sensibiliser des familles pour lesquelles cette problématique du numérique n’est pas forcément une préoccupation, parce qu’elles en ont de plus urgentes à gérer.

Notre logique, quand on présente le guide, est de se demander quel rapport on entretient en tant qu’adulte aux réseaux sociaux, au numérique. La première étape de la parentalité numérique, c’est de se poser la question et de faire une introspection critique sur ses propres usages, avant de pouvoir s’informer et se former.

Ces conseils permettent de mieux appréhender le numérique en famille et de ne pas pointer que les seules pratiques des enfants, être plus conscient de ses propres pratiques en tant qu’adulte, et montrer qu’on a nous-même à s’éduquer aux médias et à l’information, d’une façon non culpabilisante. C’est aussi une invitation à ce que les enfants éduquent aussi leurs parents d’une certaine manière.

Quelles seraient vos recommandations pour aller encore plus loin ?

La formation initiale des enseignants est cruciale : des élèves qui bénéficient d’une EMI avec un enseignant impliqué auront un regard critique et des réflexes face à l’information, différents de ceux d’élèves, même plus âgés, qui n’ont pas eu cette éducation-là.

Mais pour tout cela, il faut des moyens. Il est difficile de faire une seule recommandation, c’est toute la chaîne de transmission, de la formation de l’enseignant jusqu’à l’élève, qu’il faut renforcer.

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