Mettre le numérique entre les mains des Rennais, échange avec Pierre Jannin

L’intégration des citoyens dans l’élaboration des politiques numériques à l’échelle d’une commune. À l’occasion du forum des Interconnectés, à Nantes les 2 et 3 mars 2022, nous avons échangé avec Pierre Jannin, conseiller municipal de Rennes, délégué au numérique et à l’innovation.

Que se passe-t-il à Rennes en termes de participation citoyenne sur les enjeux numériques ?

À l’origine, nous souhaitions monter une consultation locale sur le déploiement à grande échelle de la 5G sur notre territoire, sur plusieurs mois, c’était l’un des engagements du mandat. Deux groupes de travail ont été constitués, l’un avec des élus de la ville, ce qui était une manière d’embarquer les décideurs dans le projet, et l’autre avec des citoyens tirés au sort. L’idée était d’avoir un document commun, mais présentant les versions de chacun de ces groupes. Tout le processus a été suivi par la Commission nationale du débat public (CNDP), nous voulions être solides sur la méthodologie.
 
Nous avons fait venir des experts pour une première phase d’acculturation, puisque les citoyens tirés au sort ne connaissaient pas forcément le numérique, comme les élus, d’ailleurs ! Cette longue phase, qui a occupé sept réunions thématiques, de deux à trois heures chacune, a été suivie d’une phase d’émission de propositions : pour la 5G, puis pour le numérique, chacun devait proposer un diagnostic, identifier les principaux enjeux, et pour chacun d’entre eux, faire des propositions.
 
Au terme de cet exercice, les citoyens avaient élaboré 54 propositions et les élus 52. Même en travaillant séparément, nous sommes parvenus à des visions similaires, à la fois sur les chiffres, mais également sur le fond : les diagnostics, les enjeux et les actions étaient très similaires.
 
Nous avons alors décidé de laisser de côté les propositions des élus et d’étudier, les unes après les autres, celles des citoyens, en mettant de côté les deux ou trois propositions qui reposaient sur un diagnostic qui s’avérait erroné. Puis nous avons réfléchi aux actions que nous pourrions mettre en place. Régulièrement, nous tenons au courant les contributeurs, via une plateforme numérique, de l’avancée de cette instruction.
 
Cette consultation est aujourd’hui terminée, mais le travail de mise en œuvre lui continue. Nous étions convaincus que cette démarche devait être suivie, à court terme, par un travail de la collectivité permettant de déterminer ce qui est intéressant et ce qui est faisable. Il faut répondre à tout, même aux propositions qui peuvent sembler absurdes : derrière toute remarque, tout diagnostic, il y a du sens.

Les citoyens continuent-ils d’être mobilisés ?

Au-delà de ce processus de consultation, nous avons souhaité pérenniser l’action citoyenne. Nous avons donc mis en place un conseil citoyen du numérique responsable (CCNR), composé de vingt citoyens et citoyennes tirés au sort, avec des critères concrets, tels que la parité entre les femmes et les hommes, la répartition par quartiers, les catégories socio-professionnelles, en se basant sur les critères de l’INSEE, l’éloignement vis-à-vis du numérique, etc.
 
Nous avons organisé avec eux trois réunions depuis mi-décembre 2021, animées par une structure spécialisée dans la participation citoyenne.
 
L’idée est de les laisser travailler sur les enjeux numériques, soit en étudiant une saisine de la ville, soit sur auto-saisine. L’objectif est qu’ils puissent rapidement travailler sur des sujets qu’ils aimeraient aborder, que ce soit les technologies ou leur impact : l’inclusion, l’environnement, la santé physique ou mentale, l’éducation, tous ces enjeux transversaux.

La participation citoyenne nécessite de donner la parole à des citoyens éclairés, qui comprennent des termes comme la data, la sécurité, les infrastructures, mais également à des citoyens qui ne les comprennent pas, et qui portent une voix brute.

Il y a là encore eu une phase d’acculturation, mais plus courte que la première. J’ai bien entendu les messages de Chantal Jouanno [la présidente de la CNDP, qui intervenait lors du Forum des Interconnectés, durant lequel cet entretien a eu lieu, NDLR] : la participation citoyenne nécessite de donner la parole à des citoyens éclairés, qui comprennent des termes comme la data, la sécurité, les infrastructures, mais également à des citoyens qui ne les comprennent pas, et qui portent une voix brute, qui sont capables de partager leurs peurs, leurs craintes, leurs espoirs. Nous voulons travailler sur ces deux façons de dialoguer avec les citoyens.

Que peuvent attendre des élus, une collectivité, de ce genre de mobilisation ?

Le numérique est une politique sectorielle, comme d’autres, mais qui peut également porter les valeurs de notre société.

L’implication des élus demeure fondamentale, c’est le relai qui suit ces réflexions, qui porte la voix du citoyen dans les commissions, dans les conseils municipaux. J’assiste à ces réunions, mais je me mets en retrait, je suis un porte-parole, je traduis en jargon politique ce qui a émergé des citoyens.

Nous avons choisi sur la Ville et la Métropole de définir une politique publique du numérique responsable au service du citoyen et qui prend ses responsabilités sociales, écologiques et sociétales. La participation citoyenne en est un élément-clé. Le numérique est une politique sectorielle, comme d’autres, mais qui peut également porter les valeurs de notre société. Co-construire avec les citoyens, recréer ce lien brisé entre eux et les acteurs du numérique, la technologie et la science, promouvoir le dialogue avec tous les acteurs, pour remettre ensemble la technologie au service de la société et de ses grands enjeux d’égalité, de solidarité et d’écologie… autant de choses qui peuvent avoir une influence positive sur les valeurs de notre société.

C’est d’ailleurs une de nos difficultés, la complexité en termes de marge de manœuvre, puisque ces enjeux ne sont pas que locaux mais aussi nationaux, et que leur gouvernance est entre les mains de quelques grandes structures internationales, des acteurs économiques, qui imposent leurs lois et impactent notre économie.  Comment faire remonter tout cela ?

Votre réflexion se limite-t-elle à Rennes ?

Avec France Urbaine [une organisation de collectivités représentant les métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et grandes villes, NDLR], nous avons décidé d’ouvrir une réflexion plus large, de parler des enjeux démocratiques, de la démocratie, non seulement représentative, mais aussi participative. Nous pensons tous que le numérique est une opportunité et un levier important, mais il faut aller plus loin sur l’intérêt de la participation citoyenne dans cette société qui se développe.

On a mis en place depuis des centaines d’années des moyens d’orientation de la vie physique, des politiques d’éducation, de sensibilisation, une politique dans le monde réel qui n’existe pas du tout pour ce citoyen dans le monde numérique qui se retrouve perdu !

Se posent alors des questions sur la méthode de participation, les enjeux de légitimité, l’accès aux droits, la création du lien, l’appropriation du numérique, et au-delà, la gouvernance et les marges de manœuvre, au niveau des territoires et jusqu’au niveau européen. Sur tous ces sujets, nous engageons une réflexion à notre échelle, dont les conclusions viendront à la fin de l’année.

D’une certaine manière, un second citoyen est en train de se créer, le citoyen numérique, qui a une vie propre. On a mis en place depuis des centaines d’années des moyens d’orientation de la vie physique, des politiques d’éducation, de sensibilisation, une politique dans le monde réel qui n’existe pas du tout pour ce citoyen dans le monde numérique qui se retrouve perdu ! Le monde virtuel nous offre de nombreuses opportunités, qu’il faut saisir, et qui risquent de nous échapper si on ne fait pas ce lien entre l’individu sur le territoire et dans ce monde numérique.