NEC 2023 - IA : comment mettre la technologie au service des travailleurs ?
Retour sur la masterclass avec Odile Chagny, Pauline Gourlet et Vincent Mandinaud lors de Numérique en Commun[s] 2023 sur l’IA au travail. Avec eux, nous avons échangé sur les enjeux et difficultés que ces technologies font émerger ou accentuent au sein de situations de travail, avant d’aborder des pistes de solutions collectives.
Dans le cadre de notre partenariat avec l’édition nationale 2023 de Numérique en Commun[s], nous avons proposé et animé une masterclass sur le thème “IA au travail : comment mettre (aussi) la technologie au service des travailleurs ?”. L’intelligence artificielle est porteuse de nombreuses craintes au travail, au premier rang desquelles la disparition du travail humain. Pourtant, dans de nombreux cas, on assiste plutôt à une reconfiguration des relations entre humains et machines dans des situations de travail, interrogeant les effets de l’IA sur le contenu du travail, les compétences, les interactions entre collègues, le management, la création de valeur,… Autant de questions qui invitent à faire de l’IA un sujet de dialogue permanent au sein des entreprises pour en faire un outil porteur de sens et d’autonomie plutôt que de contrôle et de déqualification
Devant une salle comble, cette masterclass a ainsi été l’occasion d’échanger sur les enjeux et difficultés que ces technologies font émerger ou accentuent au travers de témoignages concrets du terrain et d’aborder des pistes de solutions collectives, opérationnelles, pour mettre ces outils au service de l’humain et des équipes, en particulier par le dialogue.
Pour aborder ces questions, nous avons eu le très grand plaisir d'accueillir trois intervenants :
- Odile CHAGNY, économiste à l'IRES et co-animatrice du réseau Sharers & Workers, co-pilote des projets SECOIA Deal et DIALIA, deux projets centrés autour du dialogue social et la confiance dans l'IA au travail ;
- Pauline GOURLET, designer et chercheure au sein du Medialab de Sciences Po, portant l’approche participative au sein de Shaping AI, projet de recherche international et pluri-disciplinaire sur les controverses de l'IA, notamment au travail ;
- Vincent MANDINAUD, sociologue, chargé de mission au sein de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), notamment chef de projet "Transition numérique et condition de travail" et pilote du Plan Santé au Travail sur le dialogue social et le dialogue professionnel associé à la transformation numérique des entreprises, qui a également participé au projet SECOIA Deal et à la structuration et à l'animation de l'appel à manifestation d'intérêt sur le dialogue social technologique lancé par l'Anact, qui co-finance, entre autres, le projet DIALIA porté par l’IRES et le projet DiAG porté par Matrice et l’ICAM.
Retour sur trois projets
Les trois intervenants ont commencé par présenter leurs démarches respectives autour de l’IA au travail et pourquoi il a été nécessaire de les amorcer, que ce soit pour étudier les usages de l’IA ou leurs effets sur le travail et les collectifs de travail. Pauline Gourlet a commencé par présenter le projet Shaping AI et sa démarche de réappropriation du cadrage des problèmes de l’IA. Ce projet a permis de mettre à jour des “soucis” de l’IA :
En faisant le pari de la participation, nous avons cherché à nous réapproprier la problématisation de l'IA à travers une enquête collective qui part des pratiques. Et c’est d'abord à un équipement de l’attention que nous avons travaillé : nous avons élaboré des dispositifs de description croisée pour éprouver collectivement les transformations à l’œuvre, du point de vue des praticiens et praticiennes, et de discuter leurs effets tant sur les situations vécues que sur le développement de l'IA en France. La focale sur les pratiques et leurs milieux permet l’identification et la mise à l’épreuve de prises élaborées par les acteurs pour faire évoluer leur situation — ou au contraire, cela peut mettre en lumière la perte progressive de capacités d’action.
Odile Chagny a, de son côté, présenté SECOIA Deal et DIALIA, deux initiatives - européennes pour la première et nationale pour l’autre - visant à réunir partenaires sociaux, chercheurs et administrations pour aborder collectivement les modalités de dialogue autour de l’IA au travail : “Ces deux projets portent la conviction du rôle majeur que peut jouer le dialogue, dans l’entreprise, dans les administrations, entre les parties prenantes de l’IA, avec les usagers, pour asseoir et garantir la confiance dans l’IA”. Vincent Mandinaud a, lui, rappelé pourquoi l’Anact participe et soutient des projets comme DIALIA (dont l’Anact est co-financeur).
Il ressort de leurs interventions que le dialogue entre les travailleurs, leurs représentants et les directions autour du déploiement des systèmes d’IA est difficile : il est souvent inexistant et parfois conflictuel. Il est donc nécessaire à la fois d’étudier pourquoi et d’équiper les acteurs pour les remettre en capacité de dialoguer et d’agir pour sortir de cette impasse, et de créer les conditions pour réussir collectivement ce nouveau virage de la transformation numérique des entreprises. Pour illustrer ce constat, les trois intervenants ont présenté des cas concrets de métiers illustrant à la fois les évolutions du travail confronté à l’IA et le manque de leviers face à l’arrivée de ces outils, notamment le cas des géomètres dans l’administration fiscale. Pour Vincent Mandinaud, ce constat est symptomatique d’une difficulté à penser et à agir les transformations numériques non pas simplement dans leur dimension technico-économique mais aussi au croisement des logiques professionnelle, organisationnelle (ou managériale) et institutionnelle (gouvernance).
Il convient d’apprendre à reconnaître l’existence de diverses rationalités à l’œuvre dans la conception et le déploiement des systèmes d’IA, et d’apprendre à mieux les faire dialoguer ainsi que le recommandent les accords européens de 2020 et de 2022.
Quelles solutions ?
Pour finir, la troisième partie de la table ronde était dédiée aux pistes de solutions pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Odile Chagny est notamment revenue sur les propositions d’ores et déjà formulées dans le cadre du projet SECOIA Deal : création d’un comité éthique de l’IA en entreprise, introduction d’un registre des outils d’IA, déploiement radar de la valeur des parties prenantes de l’IA… Ces propositions sont à retrouver dans le rapport du projet et ont été reprises pour partie dans la feuille de route du Conseil national de la Refondation Numérique dédié aux transitions numériques de travail. Vincent Mandinaud a, quant à lui, insisté sur les enjeux de prévention des risques en matière de santé et sécurité au travail, et Pauline Gourlet sur le design de protocoles d’enquête et d’évaluation qui permettent une participation authentique de toutes les parties prenantes. Autant de propositions sur la table pour nourrir encore de nombreux échanges et réflexions sur ces thématiques.
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Un très grand merci à Odile Chagny, Pauline Gourlet et Vincent Mandinaud pour leur participation à cette masterclass ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui nous ont rejoint pour cet échange.
Si vous souhaitez organiser des échanges dans votre entreprise autour de l’IA ou des outils numériques, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse travail@cnnumerique.fr !