Cénum - La lettre du Conseil #67 - Les souhaits de 6 personnalités pour 2024

Que se souhaiter pour le numérique en 2024 ? 6 personnalités nous ont présenté leurs scénarios désirables pour 2024. Une reprise en main à portée de demain ! Toute l’équipe du Conseil national du numérique vous souhaite une excellente année 2024.

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Que se souhaiter pour le numérique en 2024 ? 2023 a été marquée par la démocratisation d’intelligences artificielles - qui, avant d’être génératives, doivent d’abord être considérées comme extractives - et par de premiers pas vers la régulation de réseaux sociaux qui emportent une réflexion plus large sur les espaces de débat que nous voulons. Cette nouvelle année offre l’occasion de transformer les technologies en instruments de nos richesses collectives. L’information et le débat sont plus que jamais décisifs pour être collectivement acteurs. C’est pourquoi, pour dessiner ce futur, 6 personnalités du numérique nous ont présenté leurs souhaits et perspectives pour 2024. N'hésitez pas à nous partager les vôtres ! Une reprise en main à portée de demain ! En attendant, toute l’équipe du Conseil national du numérique vous souhaite une excellente année 2024.

Lauren Boudard, Co-fondatrice du média Climax et de la lettre d’information TechTrash

Rappelez-vous, il y a deux ans seulement, le métavers allait révolutionner le monde, et l’humanité était promise à faire son shopping en crypto, collectionner des NFT et vivre des concerts via un avatar personnalisé. Deux ans plus tard et d’innombrables vidéos gênantes de Mark Zuckerberg sans jambe, ce rêve que personne n’avait envie de voir advenir est enfin mort. Mon souhait pour 2024, c’est donc peut-être ça : un peu plus d’humilité, et de recul journalistique vis-à-vis des révolutions technologiques en cours, quand bien même celles-ci transforment notre monde. Sur l’IA, il me semble qu’un angle mort gagnerait à prendre plus d’ampleur : celui de son empreinte hydrique. Alors que les géants de la tech sont de plus en plus assoiffés (la consommation d'eau de Microsoft a augmenté de 34 %, celle de Google de 20%), et que les conflits autour de l’eau émergent (au Vietnam déjà, les usines d’Apple et de Samsung ont été privées de jus en raison de l'assèchement des rivières), la préservation de nos ressources devient un enjeu vital, et c’est toute l’industrie qui va devoir apprendre à se mettre au sec.

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Rahaf Harfoush, consultante en stratégie, anthropologue du numérique et membre du Conseil national du numérique

2023 a été l’année de la démocratisation des IA génératives. 2024 peut voir advenir des IA hyper-personnalisées, entraînées sur nos données, nos manières de parler et de réfléchir. De manière optimiste, nous pouvons espérer que ce qui sera valorisé demain sera la production d’idées véritablement originales. Pour cela, profitons de cette nouvelle année pour nous poser les bonnes questions !

Comment va-t-on juger la valeur économique des tâches créatives réalisées à l’aide des intelligences artificielles ? Ces IA sont essentiellement extractives, fondées sur l’exploitation de nos données personnelles, de ressources rares et du travail invisible. Mais pour pleinement penser des IA génératives créatrices de valeur, il nous faut penser plus largement la marche vers une économie régénérative. Cette économie est à portée de demain, alors allons-y !

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Chine Labbé, Rédactrice en chef et Vice-Présidente chargée des Partenariats, Europe et Canada chez NewsGuard

2023 a été marquée par l’essor des sites d’information non fiables générés par IA : ces fermes de contenu nouvelle génération qui se font passer pour des sites d’actualité traditionnels, mais dont les contenus sont produits grâce à l’IA générative, avec peu ou pas de supervision humaine. En mai 2023, mes collègues de NewsGuard en avaient dénombré 49. En janvier 2024, ils en ont relevé plus de 620. Certains sont à l’origine d’infox virales. D’autres plagient à bas coût (et sans trace) le contenu de médias grand public. Plus de la moitié (337 sur 623 au 5 janvier 2024) diffusent des publicités, siphonnant ainsi une partie non négligeable de revenus qui pourraient revenir à des médias responsables. Et si en 2024, les annonceurs et l'ensemble de l'écosystème de la publicité en ligne s’engageaient, non seulement à arrêter de financer ces sites générés par IA - pour mettre un terme à leur prolifération -, mais aussi à financer significativement l’information de qualité ?

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Lucie Ronfaut, journaliste et autrice spécialiste de l’industrie des nouvelles technologies et des cultures en ligne

Il est parfois difficile de s’enthousiasmer pour notre avenir en ligne. Cette année, pourtant, quelque chose m’a donné de l’espoir : les tentatives de décentraliser le web social. Je crois beaucoup au potentiel de plateformes plus petites, reliées entre elles, avec des fonctionnalités simples et ouvertes. Bien sûr, toutes n’ont pas la même approche (Mastodon ne ressemble pas à Bluesky ou à Threads). Mais c’est justement l’intérêt du fediverse. Nous laisser choisir les espaces numériques qui nous conviennent le mieux, plutôt que de dépendre d’immenses réseaux sociaux fermés dont le fonctionnement peut changer du jour au lendemain au gré de décisions économiques, ou à cause des caprices d’un milliardaire. Enfin, je crois que si nous sommes mal à l’aise en ligne aujourd’hui, c’est parce que nous ne sommes plus acteurs ou actrices de nos expériences. Mon scénario idéal pour 2024 est donc qu’on nous laisse expérimenter, héberger nos propres données, modérer des communautés, ordonner nos fils d’actualités, etc. Pour prendre soin du web, il faut se le réapproprier.

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François Saltiel, journaliste et producteur du podcast "Le Meilleur des mondes" sur France Culture

En 2024 je nous souhaite de pouvoir réenchanter le numérique pour éviter le meilleur des mondes. L’année qui vient de s’écouler a été celle de l’émergence des IA génératives, objets de fantasmes et d’inquiétudes nouvelles. La guerre s’installe sur le continent et au Moyen-Orient. Deux situations de guerre informationnelle où le public peine à s’informer librement sur les réseaux sociaux, terrain de prédilection d’agents de la désinformation. Si nous analysons de mieux en mieux l’impact et les dérives de la technologie, l’anxiété augmente dans notre époque incertaine.

Pour contrer ce pessimisme qui se confond parfois avec le fatalisme, nous devons nous donner les moyens de nourrir d’autres imaginaires. Ce n’est pas Elon Musk et les autres techno solutionnistes qui nous donneront envie d’aimer le futur. Nous avons plus que jamais besoin du souffle des artistes, de la pensée de nos chercheurs et du courage des décideurs politiques pour repanser le numérique. Un triple mouvement qui doit s’accompagner de l’intégration des citoyens à cette grande réflexion. Le progrès, le vrai, ne peut passer que par le collectif. On y va ?

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Jean-Marc Vittori, éditorialiste et chroniqueur aux Échos et membre du Conseil national du numérique

ChatGPT et ses petits frères ont ouvert une nouvelle étape de la révolution numérique en rendant l’intelligence artificielle accessible au plus grand nombre. Le débat juridique est lancé sur la réglementation de cette IA, en Europe comme aux Etats-Unis. 

Mais un débat économique doit aussi être lancé sur l’usage de cette IA. Laissées à elles-mêmes, les entreprises vont s’en servir pour remplacer des salariés par des algorithmes au détriment de l’emploi, du lien social, de la capacité d’innovation. Comme le souligne Daron Acemoglu, un économiste réputé (il fait partie des trois chercheurs les plus cités au monde par leurs pairs), il est possible d’orienter autrement cette IA, pour augmenter les capacités des salariés et non les éliminer. Des expériences concrètes en témoignent. En 2024, les entreprises, les syndicats, les organisations non gouvernementales et les pouvoirs publics peuvent et doivent réfléchir ensemble au pilotage du progrès numérique. Sinon, l’intelligence artificielle risque de devenir inhumaine.

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