L’éducation à la sexualité en classe/en ligne. Echange avec Diane Saint-Réquier

Intervenante en éducation à la sexualité depuis plus de 14 ans et créatrice de contenus en ligne, Diane Saint-Réquier revient sur son expérience et sur les liens entre les apprentissages en ligne et en classe.

Vous êtes éducatrice, formatrice et intervenante en santé sexuelle depuis plus de 14 ans. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis 2010, j’interviens auprès de jeunes et d’adultes, au sein de Solidarité Sida et en milieu scolaire lors de séances d’éducation à la sexualité avec le Centre régional d'information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes d’Ile-de-France (Crips). J’ai par ailleurs lancé Sexy Soucis en 2014 pour contribuer à pallier le manque de contenus inclusifs, informationnels, accessibles et enrichissants sur les questions de relations et de santé sexuelle sur Internet. C’était d’abord un espace de questions-réponses sur Twitter puis un site dédié. De 2018 à 2022, j’ai travaillé avec France Télévisions pour produire plus de 200 épisodes sur des questions liées aux relations et à la santé sexuelle des jeunes. J’ai ensuite rejoint l’association AIDES et je me suis lancée en tant qu’animatrice sur les questions d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, sur le numérique et également sur des questionnements à l’intersection de ces deux champs.

Comment construisez-vous vos séances d’éducation à la sexualité ?

Je conçois ces séances d’éducation à la sexualité comme des espaces de parole et de débat. Mon rôle est de créer du débat et d’aider les jeunes publics à développer leurs raisonnements et leurs opinions sur la vie affective, relationnelle et sexuelle. Certes je peux apporter des informations et des ressources pour corriger les idées reçues, informer sur le cadre légal et sur certains moyens de contraception mais nous ne sommes pas dans une logique descendante. Je forme également des professionnels à cette pédagogie et cette posture d’écoute et de débat.

La programmation d’une intervention est co-construite avec l’établissement, en particulier les infirmiers scolaires, les conseillers principaux d’éducation et le proviseur. Nous discutons notamment des thématiques à traiter afin de viser un problème au sein de la structure ou pour éviter une redondance si des interventions ont déjà eu lieu dans l’établissement. L’idée est d’être au plus proche des préoccupations des jeunes publics, d’autant plus que les séances de deux heures ne nous permettent pas de couvrir tout le programme. Mon rôle est de faire émerger des associations d’idées sur la base de certaines thématiques, pour ouvrir sur un débat.

A quelles difficultés sont confrontés les établissements scolaires pour assurer l’éducation à la sexualité ?

Les établissements font face à différents freins : les programmes scolaires, les parents d’élèves, et le budget. Lorsque la volonté politique assure un financement de l’éducation à la sexualité, la mobilisation suit. Dans certains établissements, les élèves ont trois ou quatre interventions, des conférences-débats avec des sociologues/sexologues, des ciné-débats, des pièces de théâtre, une animation de prévention. La transparence aide à l’acceptabilité de la cause, comme au Canada ou en Australie, où le cursus est détaillé précisément sur un site public (par contenus qu’on peut utiliser, par objectifs d’acquisition de connaissances par âge, etc). Il s’agit de donner les clés aux jeunes publics pour leur vie adulte, mais aussi pour leur vie de jeunes : comprendre les limites, les dangers, leurs émotions et pouvoir les exprimer. Le contenu peut être adapté à chaque âge, mais même un débat sur le porno en primaire peut faire sens, en prévenant du choc des images. Le domaine de la prévention est mal compris ; certains la considèrent illégitime tant que les jeunes publics ne sont pas sexuellement actifs.

De nombreuses initiatives existent en ligne pour informer et faire de la prévention autour de la vie affective, relationnelle et sexuelle. Quel regard portez-vous sur ces contenus ? Pourrait-on envisager un soutien et un financement de ces contenus à visée pédagogique et enrichissante ?

Sur internet, on peut trouver à la fois des contenus généralistes, des contenus plutôt destinés à des publics adultes et assez peu de contenus qui s’adressent aux jeunes garçons. Il serait intéressant de soutenir et financer la création de contenus en ligne qui s’adressent à tous les publics, d’autant plus que les créateurs de contenu assurent aujourd’hui ce travail essentiel de manière bénévole. Soutenir et financer ces contenus inciterait peut-être à la création de contenus faits par des hommes et pour des hommes sur la vie affective, relationnelle et sexuelle. Cela permettrait également de visibiliser les points de vue et les expériences de personnes appartenant à des minorités sexuelles ou ethniques et ainsi de leur donner la parole dans l’espace public.

L’éducation par les pairs est également une piste de réflexion intéressante. Des institutions mènent déjà des projets de co-construction et d’éducation par les pairs. Philippe Martin est par exemple à l'initiative du projet de recherche Sexpairs, prenant la forme d'une communauté en ligne pour les 15-24 ans pour se soutenir, échanger, trouver des informations sur la sexualité, les relations, l'amour, et tout ce qui est en lien avec la santé sexuelle. Le centre Hubertine-Auclert a réalisé un film avec des collégiens du collège Pierre Brossolette à Bondy sur la prévention des violences sexistes et sexuelles et l’éducation à la santé sexuelle. Le Crips Ile-de-France propose également aux jeunes publics de réaliser des montages vidéo pour parler de leur expérience et de leur parcours.

Lire l’entretien de Philippe Martin

En quoi l’éducation aux médias et à l’information peut être une piste pour enrichir l’éducation à la sexualité ?

De nombreux ponts sont à créer entre l’éducation aux médias et à l’information et l’éducation à la sexualité. Il m’arrive de mobiliser des vidéos et des contenus issus des réseaux sociaux pour faire réagir les jeunes pendant les séances d’éducation à la sexualité. Le Crips Ile-de-France utilise notamment un outil qui reprend des captures d’écran issues de forums de jeunes sur la sexualité. Cette pédagogie permet d’amener les jeunes à formuler des pistes de réflexion et des réponses, elle s’inscrit dans le sillage de l’apprentissage par les pairs. L’actualité sur les réseaux sociaux infuse également les séances d’éducation à la sexualité : les affaires médiatiques autour des violences sexistes et sexuelles comme le procès Johnny Depp v. Amber Heard génèrent beaucoup de discours sur Internet et émergent souvent au cours de mes interventions.

Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour éduquer aux médias et à l’information tout en évoquant les sujets de santé sexuelle : visionner des vidéos évoquant des points de vue divergents sur la sexualité, éduquer aux fausses informations et légendes urbaines sur la sexualité et la contraception, apprendre l’esprit critique et la confiance, etc. Il serait également intéressant de travailler sur la pornographie et plus largement sur les représentations médiatiques des corps, de la sexualité et les normes et stéréotypes associés. On se focalise souvent sur l’exposition des mineurs à la pornographie alors que ce sujet est intimement lié à la représentation des corps et aux stéréotypes de genre à la télévision, dans les films d’action et dans les médias traditionnels. Ces médias contribuent également à la diffusion de contenus préjudiciables qui véhiculent des représentations stéréotypées et inégalitaires de la société.


Pour aller plus loin