Éducation à la sexualité en ligne par les pairs. Échange avec Philippe Martin

“Partager ses expériences, apprendre les uns des autres”. Docteur en santé publique et responsable du projet Sexpairs, Philippe Martin nous invite dans cet entretien à prolonger l’éducation à la sexualité au sein de communautés interactives et participatives en ligne.

Qu’est-ce que le projet de recherche Sexpairs et en quoi se différencie-t-il des approches traditionnelles en matière d'éducation à la sexualité, notamment en ce qui concerne l'implication des jeunes et l'utilisation des technologies numériques ?

Le projet Sexpairs est la continuité de ma thèse sur la promotion de la santé sexuelle via le numérique pour les adolescents et jeunes adultes de 15 à 24 ans. Il vise à évaluer l'efficacité d’une intervention communautaire en ligne menée par les pairs pour promouvoir des comportements positifs en matière de santé sexuelle et reproductive. Il repose d’une part sur un volet qualitatif à travers des entretiens avec des professionnels et des jeunes explorant les perceptions et les besoins en matière d'éducation sexuelle et d’autre part sur un volet quantitatif visant à quantifier l'efficacité de l'éducation par les pairs à travers des données mesurables sur les changements de comportement et les déterminants associés. Nous avons par ailleurs construit un outil en ligne et un protocole d'évaluation pour déterminer si l'éducation par les pairs a un effet positif sur le bien-être et la compréhension des enjeux d'éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle (EVARS).

Ce projet est né de la nécessité de repenser l'éducation à la sexualité, en intégrant des jeunes au cœur du processus et en exploitant les outils numériques modernes. L'objectif principal est de créer une plateforme en ligne interactive et participative, où ils peuvent non seulement recevoir des informations fiables, mais aussi partager leurs expériences et apprendre les uns des autres dans un environnement sécurisé.

Ce qui distingue Sexpairs, c'est son approche communautaire et par les pairs : nous croyons fermement que ces publics sont plus enclins à s'engager et à assimiler des informations lorsqu'ils interagissent avec leurs semblables. De plus, l'aspect numérique permet une portée plus large et une accessibilité constante, ce qui est essentiel pour répondre aux besoins d'une génération connectée.          

Il existe un besoin d'espaces sûrs et interactifs en ligne pour explorer des thèmes liés à la sexualité avec le soutien de pairs et d'experts. Les résultats préliminaires indiquent une préférence marquée pour l'apprentissage interactif et entre pairs, tout en soulignant l’importance de la présence d’experts du champ et de modérateurs. Cette approche peut améliorer significativement la compréhension et le bien-être sexuel des jeunes et fournir un soutien psychosocial crucial. L’anonymat s’avère par ailleurs important pour cloisonner les questions intimes d’autres usages numériques potentiellement identifiants.

Comment envisagez-vous l'intégration de cette initiative dans les communautés et les institutions éducatives ?

Pour intégrer nos initiatives au sein des communautés et des institutions éducatives, nous avons développé une plateforme en ligne répondant aux demandes des professionnels et des jeunes pour des contenus sur la sexualité présentés sous différents formats. Cette plateforme comprend une cartographie des services de santé sexuelle, les reliant aux espaces géographiques de proximité pour faciliter l'accès aux informations et aux services adéquats. Notre communauté en ligne se structure autour de plusieurs canaux : sessions de questions et réponses (Q&A), forums, témoignages, messagerie, et des lives avec des experts. La plateforme est divisée en trois espaces distincts : un espace d’information, un espace d'interaction (entre pairs et avec des experts) et un espace participatif proposant des activités ludiques. Cette approche, menée par les pairs, est conçue pour être complémentaire à une stratégie éducative plus traditionnelle et descendante. Nous réfléchissons à la manière d'impliquer des jeunes dans les contenus : ils souhaitent aborder la vie affective et sexuelle de manière générale, sans tabou, de façon positive et holistique. Nous reconnaissons que certains sujets ne peuvent pas être abordés en classe, d'où l'importance de notre plateforme.

Les écoles et d'autres institutions peuvent jouer un rôle crucial dans la diffusion et le soutien de l'éducation sexuelle en encourageant l'utilisation de notre plateforme comme ressource complémentaire. Elles peuvent en faciliter l'accès, encourager les discussions ouvertes et sans jugement, et soutenir les adolescents dans leur recherche d'informations fiables et de conseils sur la santé sexuelle.

Le projet a été bien accueilli par les acteurs associatifs et institutionnels. Nous collaborons étroitement avec des organisations comme le Planning Familial et le Centre régional d'information et de prévention du sida Île-de-France (Crips) pour atteindre et recruter des jeunes. Pour pallier la disparité d'accès aux contenus sur l’EVARS, notamment due à des facteurs sociaux, nous envisageons une stratégie de communication diversifiée. Nous prévoyons d'aller directement dans les lieux de vie des jeunes, tels que les associations, les missions locales, les écoles, et collaborer avec des entités comme Santé Publique France et la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Nous utiliserons les réseaux sociaux pour diffuser des bannières publicitaires ciblées et nous envisageons un recrutement actif par téléphone, en nous basant sur la constitution d’un échantillon représentatif de jeunes par échantillonnage aléatoire.

En quoi les réseaux sociaux numériques peuvent-ils offrir de nouvelles voies d’amélioration pour l'éducation à la sexualité ?

Les jeunes que nous avons interrogés utilisent différemment les réseaux sociaux selon leurs besoins en santé sexuelle et leur niveau de littératie numérique. Ils distinguent les plateformes pour trouver des informations sur la sexualité, mais il existe une disparité notable dans les compétences de recherche et de discernement des informations valides sur l’EVARS. Ils ont montré une certaine conscience des risques associés, comme le cyberharcèlement et les prédateurs sexuels. Cependant, beaucoup ne sont pas au courant de l'existence de comptes dédiés à l'EVARS, et souvent, ceux qui consultent ces contenus ne sont pas ceux qui sont les plus difficiles à atteindre. Nous avons également observé des différences selon le genre et l'âge dans l'utilisation de ces réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux numériques peuvent effectivement offrir de nouvelles voies d’amélioration pour l’EVARS mais leurs limites sont claires : il existe une disparité dans l'accès et la capacité à évaluer l'exactitude des informations, ainsi qu'une méconnaissance des ressources spécialisées. Pour que les réseaux sociaux soient un outil efficace d'éducation à la sexualité, il est crucial d'améliorer la littératie en santé et la littératie numérique des plus jeunes, de promouvoir des comptes spécialisés et fiables, et de mettre en place des mesures de protection contre les risques en ligne. S’agissant de l’éducation par les pairs, les réseaux sociaux ne touchent pas tous les jeunes sur des contenus fiables de santé sexuelle et ne réunissent pas les conditions d’un dialogue multidimensionnel : il est essentiel de développer des espaces interactifs et sécurisés pour une véritable éducation par les pairs.

Quelles sont vos attentes pour l'avenir de l'éducation à la sexualité, notamment en termes d'utilisation des technologies et des plateformes numériques ?

L'avenir de l'éducation à la sexualité réside dans l'intégration des technologies et des méthodes d'apprentissage innovantes pour répondre aux besoins diversifiés des adolescents. Les plateformes numériques telles que Sexpairs et onsexprime.fr doivent travailler ensemble pour fournir un spectre complet d'informations et de services. Ces initiatives doivent être adaptatives, inclusives et respectueuses de la diversité des expériences et des identités des jeunes. L'objectif est de créer un écosystème d'éducation sexuelle qui favorise le bien-être, la sécurité et l'autonomie des jeunes dans leur vie affective et sexuelle.

Du point de vue de la recherche, l'enjeu principal réside dans l'absence de données valides concernant l'efficacité des actions d’EVARS et surtout de l’éducation par les pairs. Il est essentiel que des institutions telles que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut national d’études démographiques INED et Santé Publique France développent des outils de mesure (type questionnaire) pour évaluer ces programmes et pour déterminer si les initiatives répondent réellement aux besoins en connaissances et compétences pratiques.

Pour l'avenir de l'éducation sexuelle, il est impératif de faciliter cette communication entre les acteurs de terrain, les organismes de recherche et les acteurs publics, afin d'orienter efficacement les politiques publiques. Il est nécessaire de fournir des résultats concrets pour éclairer la prise de décision. Une première solution pourrait être de créer un questionnaire concis, évaluant les déterminants ciblés par les EVARS et à remplir par les jeunes avant et après les séances d'éducation, afin d'obtenir des données significatives et de permettre des comparaisons.

Il est par ailleurs important de fournir un encadrement adéquat pour déconstruire les stéréotypes véhiculés par les des médias culturels, parmi lesquels les séries télévisées ou encore le rap. Des séries comme « Sex Education » montrent néanmoins qu'il est possible de combiner divertissement et messages de prévention, mais cela nécessite une collaboration étroite avec des experts, tels que des sexologues, pour produire des contenus pertinents et pour déconstruire les normes et stéréotypes nocifs.

En termes d'utilisation des technologies et des plateformes numériques, il est essentiel d'améliorer l'accès à des informations fiables et adaptées à l'âge, et de développer des programmes interactifs qui engagent les plus jeunes de manière constructive. Les actions à entreprendre incluent la création de contenus éducatifs numériques attrayants, la formation des éducateurs à l'utilisation efficace des technologies dans l'éducation sexuelle, et le renforcement de la collaboration entre les professionnels de la santé, les éducateurs et les créateurs de contenus numériques.

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