Constituer un réseau pluriel d’informations
Mais aussi : deux semaines avant Numérique en commun[s]. ✦ IA et travail : le débat se poursuit. ✦ Devoirs de classe, conseils, traduction… : que demande-t-on vraiment à ChatGPT ? ✦ Comment les pratiques numériques peuvent-elles être employées pour enrichir l’éveil à la vie affective ?
Bonjour, nous sommes le vendredi 13 septembre 2024. Cette semaine, à l’occasion de la publication du rapport final des États généraux de l’information, nous revenons sur la nécessité de permettre à toutes et tous de reprendre la main sur les contenus informationnels qui leur sont proposés en ligne. Bonne lecture !
Constituer un réseau pluriel d’informations
Quel modèle d’information souhaitons-nous ? Les États généraux de l’information, lancés à l’initiative du Président de la République l’été 2023, et qui avaient pour objectif d’examiner les mutations contemporaines de l’espace informationnel, ont exposé leurs conclusions le 12 septembre 2024 au Conseil économique, social et environnemental. À l’issue d'un an de travail, environ 200 recommandations ont été formulées par les 5 groupes de travail pour éclairer pouvoirs publics, médias et producteurs d’informations, et citoyens. Compte tenu de l'importance des enjeux, essentiels au bon fonctionnement de notre démocratie, l'initiative s'est voulue ambitieuse, fondée sur une démarche ouverte et à l'écoute des parties prenantes. Plus de 500 propositions externes, 76 contributions institutionnelles et 174 auditions d'experts et de personnalités du secteur des médias ont enrichi la réflexion des membres. Les citoyens ont également été pleinement intégrés à la démarche, notamment au travers l’organisation de deux week-ends contributifs au CESE.
Parmi ces 5 groupes, l’un d’entre eux - présidé par Sébastien Soriano - était spécifiquement chargé d’examiner les influences des innovations technologiques sur l’espace informationnel. Joséphine Corcoral et Margot Godefroi, responsable des études et rapporteure au sein du Conseil national du numérique l’ont accompagné dans cette mission en tant que rapporteures. Le secteur de l’information est en effet caractérisé depuis deux décennies par l’arrivée des plateformes, actrices structurantes dans notre accès à l’information. Leur modèle économique fondé sur la captation de l’attention façonne notre accès à l'information de manière souvent invisible, influençant nos choix et perceptions. Ces systèmes, largement opaques, présentent des avantages, mais ne sont pas sans contreparties. Parce qu’ils visent à maximiser l’engagement et la viralité, ces modèles favorisent la diffusion de fausses informations ou de contenus générés par des intelligences artificielles au détriment de la fiabilité des contenus. Pour les médias, cette répartition algorithmique de leurs contenus affecte et fragilise leur modèle économique et c'est donc l’ensemble de l’espace public informationnel qui est déstabilisé. Il importe d’y apporter une réponse qui soit à la fois bénéfique aux utilisateurs et aux médias pour garantir que un accès à une information en ligne qui soit fiable, de qualité, et permettant un modèle économique soutenable pour les producteurs de contenus.
Pour un pluralisme des algorithmes. Les EGI portent le pluralisme des algorithmes en garantissant le droit au paramétrage, fondé à terme sur un principe de dégroupage. Cette proposition s'appuie sur des travaux existants, tels que ceux sur le droit au paramétrage (voir notre échange avec Célia Zolynski), le dégroupage des réseaux sociaux (notamment via les travaux de Maria Luisa Stasi, à découvrir dans cet entretien), ainsi que sur les travaux menés par le Conseil à ce sujet. À l’occasion de la restitution des travaux, Bruno Patino, président des États généraux de l’information, souligne que le paramétrage et l’ouverture des réseaux sociaux sont des leviers susceptibles de corriger les déséquilibres structurels qui s’accentuent dans l'espace public européen, afin que les citoyens ne soient plus objets mais sujets de l’accès à l’information. Le groupe de travail dédié aux innovations technologiques propose ainsi trois déclinaisons opérationnelles de cette ouverture des réseaux sociaux : le recours à des plug-ins, l’ajout de fonctionnalités de paramétrage sur les réseaux sociaux et leur interopérabilité pour permettre à des tiers de proposer leurs propres fonctionnalités.
Le groupe insiste également sur la nécessité de penser cette ouverture au-delà des seuls réseaux sociaux, pour s’appliquer aux nouveaux outils permettant d’accéder à l’information comme les assistants vocaux ou les univers immersifs virtuels. En tout état de cause, cette paramétrabilité doit se faire en accompagnant les utilisateurs afin de garantir que ces droits soient bel et bien compris et utilisés, et doit aller de pair avec une sanction des designs trompeurs afin d’éviter que le paramétrage soit présenté de sorte à désinciter au choix. Au contraire, l’enjeu est de pouvoir contribuer à la constitution des interfaces les plus facilitantes. Cette approche représente en outre une opportunité économique pour les médias, qui pourraient développer et offrir leurs propres algorithmes de recommandation sur les plateformes.
L’ouverture des réseaux sociaux se présente ainsi comme une clef de voûte permettant de réconcilier les intérêts des utilisateurs et ceux des médias et producteurs d’information. L’enjeu est de taille : rebâtir une société de l’information fondée sur la liberté, l’indépendance et la diversité de l'information, autant de piliers indispensables à notre démocratie.
📣 LE REGARD DE… Sébastien Soriano, directeur général de l’Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et président du groupe « espace informationnel et innovation technologique » des États généraux de l’information
Il faut ouvrir la boîte noire pour déconstruire les illusions de la Big Tech. Les algorithmes sculptent notre paysage informationnel, avec leurs défaillances et leurs biais. En donnant la primeur aux contenus viraux, souvent les plus haineux et les plus faux, il y a comme une rente de toxicité. Le Conseil national du numérique joue un rôle formidable pour étayer ce constat, rassembler travaux de recherches, études de think tank ; il offre un socle de compréhension et construit des solutions solides et étayées pour avancer. Pour s’attaquer à la rente de toxicité, renouons avec une notion cardinale : le pluralisme. Le pluralisme, c’est à la fois avoir beaucoup de médias et de producteurs d’informations, mais c’est aussi voir le choix sur la voie d’accès à l’information. Surtout qu’avec l’IA générative, ces deux volets vont encore s’entremêler. Construire le pluralisme des algorithmes : voilà le défi de notre temps. Accueillir de nouvelles manières de hiérarchiser les contenus et imposer aux grandes plateformes un droit des utilisateurs à paramétrer leurs services et choisir ces alternatives.
Café IA, Numérique en commun[s], prix du mémoire : les actualités de la rentrée du Conseil !
🎨 Les cafés animations continuent tous les jeudis ! Les cafés animations sont des espaces d’échanges hebdomadaires organisés chaque jeudi en ligne autour de personnes qui développent des ressources ou animent des temps d’échanges ludiques, pédagogiques et démocratiques sur notre relation à l’intelligence artificielle. Ce jeudi, nous étions plusieurs dizaines réunis autour de Lucie Termignon et Aurélien Barot, du service du Numérique du ministère de la Culture, et Romain Pennec et Nicolas Manenti de Pix pour tester collectivement en avant première l'arène LANGU:IA, un outil de comparaison des grands modèles de langage actuels et un module apprenant complémentaire sur le sujet de l’intelligence artificielle. Compte-rendu et synthèse sont à venir ! De nouveaux échanges sont prévus dès la semaine prochaine :
- Le 19 septembre avec Réseau Canopé pour contribuer à un atelier de retour d’expérience de médiation sur les IA génératives autour de 3 formats afin d'alimenter votre ingénierie d’animation.
- Le 3 octobre avec Samuel Goëta autour du jeu de cartes « la Boîte noire de l'IA », développé par Datactivist.
- Et le 10 octobre pour un café animation un peu spécial animé par le Conseil pour une première contribution au commun de la connaissance de Café IA. Venez avec nous échanger et nous faire vos retours sur cette version test du kit d’animation !
🗓️ Inscrivez-vous ici pour participer aux échanges. De nombreux autres sont prévus, nous vous partagerons les dates de ces espaces de dialogues très prochainement !
☕️ Café IA prend forme près de chez vous. « Le problème c’est qu’on n’a plus le choix, on nous oblige à faire. Ce qui serait bien, ce serait de pouvoir choisir. » Mardi 10 septembre, Joséphine Corcoral et Jean-Baptiste Manenti ont animé un Café IA au Digital Village. Une trentaine de séniors étaient réunis pour échanger de leurs attentes et appréhensions vis-à-vis de l’IA : remplacement de l’humain, perte de liens sociaux, destruction d’emplois, affadissement de la créativité, protection des données personnelles… Les sujets ont été nombreux et les débats particulièrement riches. Un très grand merci à Danilo Sekic et Bertrand Moine pour l’invitation et l’organisation. Au ministère de la transition écologique, à Martigues, Châlons-en-Champagne, Nantes, Strasbourg, dans le Jura et partout en France, de nombreux Cafés IA s’organisent !
🏔️ Plus que deux semaines avant Numérique en commun[s] - À l’occasion de l’événement national Numérique en commun[s] qui se tiendra les 25 et 26 septembre à Chambéry (inscriptions), le Conseil - et qui en est partenaire - animera trois temps d’échange et plus encore :
- Le mercredi 25 septembre à 9h : « Quel éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle en ligne ? »,
- Le jeudi 26 septembre à 11h15 : « Produire ensemble un commun de la connaissance sur l'IA »,
- Et toujours le jeudi 26, mais à 14h : « 6 ressources (ludiques) pour s’approprier l’intelligence artificielle. »
Numérique en commun[s] sera aussi une date charnière sur le chemin de la structuration de Café IA avec, nous œuvrons pour, la mise en partage et en discussion d'une version 0.1 de Café IA.
🎓 Plus que 2 mois pour postuler au prix du mémoire du Conseil national du numérique ! En juin dernier, nous vous annoncions ouvrir la 2e édition du prix du mémoire du Conseil, qui récompense une étudiante ou un étudiant de master 2 en sciences humaines et sociales, quelle que soit la discipline, contribuant à l’amélioration de la compréhension des enjeux numériques. Délivré par un jury composé de membres du Conseil et du secrétariat général ainsi que de personnalités extérieures, le prix comporte une dotation de 1 500 € et une valorisation des travaux du lauréat sous différentes formes. Étudiantes, étudiants, il ne vous reste désormais que deux mois pour candidater et nous envoyer votre dossier avant le 31 octobre. Pour postuler, c’est par ici.
🔎 La veille du Conseil
48% des Français pensent que leur emploi pourrait être remplacé d’ici à 10 ans par l’intelligence artificielle. C’est ce que révèle Le Point, citant les résultats d’une étude du cabinet de conseil Boston Consulting Group menée sur plus de 13 000 dirigeants, managers et employés d'une quinzaine de pays. L’étude souligne également la corrélation entre le recours à des outils d’IA génératives au travail et cette anxiété croissante : « 57 % de ceux qui ont un usage fréquent de l'intelligence artificielle générative considèrent qu'elle fait peser une menace sur leur activité. » Si le remplacement des humains par l’IA a de nombreuses fois été relativisé, comme par le chercheur Yann Ferguson (retrouvez son entretien pour L’ADN), son utilisation soulève de nombreux enjeux, plus diffus mais tout aussi importants, si ce n’est plus car bien avérés : surveillance, contrôle et intensification de la charge de travail, comme le rappelait le sociologue Juan Sebastian Carbonell sur notre site et Hubert Guillaud dans la neuvième édition de Dans les algorithmes. Dans une récente tribune pour Le Monde, des membres de l’Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction le rappellent : « vis-à-vis de l’IA, il faut remplacer l’affect par l’observation des évolutions et l’élaboration collective d’une réponse. » Dans ce secteur, souvent annoncé comme l’un des plus touchés face aux progrès technologiques, l’IA peut « faire naître de nouveaux besoins et de nouveaux métiers » et son intégration ne peut se faire que par un « surcroît plutôt que par une dilution des compétences attendues. » Finalement, face à toutes ces problématiques, ce n’est qu’à travers un dialogue social permanent au sein des entreprises sur le sujet que les craintes peuvent s’estomper. Ce sera d’ailleurs le thème d’un webinaire organisé par l’Anact le 16 septembre prochain, inscriptions ici.
Devoirs de classe, conseils, traduction…: que demande-t-on vraiment à ChatGPT ? Alors que certains ont vu dans les intelligences artificielles génératives la promesse de résoudre de grandes questions scientifiques, la réalité est beaucoup plus prosaïque. Une étude du Washington Post, partagée par le média Korii et se fondant sur 200 000 conversations réalisées sur des chatbots de type ChatGPT nous en dit plus sur les requêtes que nous rédigeons. Ainsi, 21 % des utilisateurs y ont recours pour de l'écriture créative et du jeu de rôle, 18 % pour de l'aide aux devoirs (allant de l’aide partielle à la rédaction complète du devoir) ou encore 15 % à des fins professionnelles. L’étude s’est également intéressée aux premières requêtes quotidiennes effectuées par chaque utilisateur, et cette-fois ci, les demandes d’ordres sexuelles occupent une place de choix, les utilisateurs arrivant très souvent à contourner les restrictions mises en place. Le Washington Post précise également que 13 % des requêtes contiennent la mention « please » : une donnée qui relance la question de la politesse à adopter - ou non - vis-à-vis des robots. Si Korii nous renvoie vers une étude de l'Université Waseda au Japon affirmant la corrélation entre la qualité des réponses adressées par un agent conversationnel et l’ajout de formules de politesse à la requête, Serge Tisseron avertissait dès 2019 dans un entretien pour Philosophie Magazine : « être poli avec les robots, c’est confondre les hommes et les machines. »
« Non seulement la jeunesse utilise de nouveaux outils pour se cultiver, mais elle produit elle-même de la culture, comme jamais auparavant. » Dans un entretien pour Le Monde, Anne Cordier revient sur l’idée selon laquelle les écrans rendraient les enfants et adolescents moins curieux et moins ouverts sur le monde qu’« avant. » Un cliché qui ne date pas d’hier, rappelle la chercheuse en sciences de l’information et de la communication, puisque déjà dans l’antiquité des textes font mention d’une inquiétude quant à « la baisse de niveau intellectuel de la jeunesse, son manquement à l’ordre social établi, son incapacité à faire lien social [...] provoquée par les comportements et les pratiques juvéniles. » L’article revient sur les nombreuses confusions qui entourent les mots-valise « écran » ou « temps d’écran » dont on ne peut se fonder pour distinguer les activités et mesurer la curiosité et la pratique culturelle. Anne Cordier avertit également sur l’erreur souvent commise de comparer trop rapidement les époques. S’appuyant sur une recherche menée avec une classe de terminale d’un lycée du Pas-de-Calais, elle affirme que les adolescents s’informent tout autant qu’il y a 20 ou 30 ans, et que leur capacité à écrire a considérablement augmenté à travers la prise de notes, la création de listes, la rédaction de récits sur des groupes Whatsapp…
« Bulle après bulle, milliards après milliards, le cartel de la tech nous confisque la possibilité de penser l'avenir. » La semaine dernière dans Cénum nous nous intéressions à la dite « bulle de l'IA » et aux lames de fond sous les discours. Pour aller plus loin sur le sujet, nous vous conseillons la lecture de cet article de Thibault Prevost pour Arrêt sur images, « Monopoly : la bulle éclate » : des sommes démesurées investies à la difficulté que nous impose les grandes plateformes à développer des modèles alternatives, une analyse très riche à lire ici.
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🏃 En bref... Le reste de l’actualité du Conseil en 1 minute chrono !
« Comment les pratiques numériques peuvent-elles être employées pour enrichir l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle et participer du même tenant à réduire les comportements de haine en ligne ainsi que dans la société en général ? » Mardi, Louis Magnes intervenait dans le cadre de la séance plénière « éduquer à la vie affective, relationnelle et sexuelle » organisée par le Conseil économique, social et environnemental. L’occasion de présenter le dossier du Conseil sur le sujet, qui sera très bientôt disponible ! La plénière est disponible en rediffusion ici. ✦ « Sortir les téléphones des classes, oui, mais pas sans repenser la fonction de l’école dans un monde numérisé ». Dans Acteurs Publics (article réservé aux abonnés et disponible sur demande), Anne Alombert revient sur la prise en étau entre l’interdiction des smartphones à l’école et le déploiement toujours plus assumé du numérique éducatif. ✦ Condamnations d'Apple et Google: « La justice européenne confirme ce qui est du bon sens. » Pour RFI, Joëlle Toledano revient sur les amendes assignées aux GAFAM par la Commission européenne et appelle les autorités de régulation à se saisir des enjeux concurrentiels actuels, à commencer par ceux posés par l’intelligence artificielle. ✦ Une IA au cœur d’une enquête policière. « Qui a hacké GaroutzIA ? », la tragicomédie coécrite par Gilles Dowek, Serge Abiteboul et Laurence Devillers se jouera à la Scène parisienne du 24 septembre au 31 décembre. Plus d’informations.
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Cette lettre d’information a été préparée par Gabriel Ertlé et Margot Godefroi, illustrée par Magali Jacquemet et réalisée avec le soutien de Joséphine Corcoral et Jean Cattan.