Éducation à la sexualité et EMI : quels liens ? Synthèse d'un échange collectif

Le contexte numérique actuel change la donne de l’éducation à la sexualité, que ce soit en termes de support ou d’objet. Retour sur un échange collectif autour du rôle que peut jouer l’éducation aux médias et à l’information pour une éducation à la sexualité renforcée.

Dans le cadre de sa réflexion sur le champ numérique de l’éducation à la sexualité, le Conseil et les étudiantes du certificat égalité femmes-hommes de Sciences Po ont organisé un premier échange collectif. Il a permis de mettre en lumière l’importance d’internet et des réseaux sociaux dans l’exploration de l’intimité chez les adolescents et jeunes adultes ainsi que les dérives pouvant en résulter, parmi lesquelles la présence de contenus discriminants et toxiques, le sexisme et plus largement la haine en ligne ou encore le cyberharcèlement et les cyberintimidations.

A l’occasion de la Semaine de la presse et des médias à l'École, nous avons organisé un deuxième échange collectif autour d’un levier d’action identifié par des acteurs de l’éducation à la sexualité : l’approfondissement des liens entre éducation à la sexualité et éducation aux médias et à l’information (EMI). Comment se repérer dans un espace informationnel en ébullition ? Comment l’EMI peut-elle permettre le  développement d’un esprit critique par rapport aux contenus qui circulent en ligne ? Quels liens peut-on faire entre éducation aux médias et à l’information et éducation à la vie sexuelle, affective et relationnelle ? Comment utiliser les contenus publiés sur internet et les réseaux sociaux au service d’une éducation aux médias et à l’information favorisant le développement d’un esprit critique ?

Cet échange a réuni  : 

Une trentaine de personnes se sont connectées pour assister et participer à l’échange.

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L’importance de l’éducation aux médias et à l’information en matière d’éducation à la sexualité

Pour les trois intervenants, l’éducation aux médias à et l’information (EMI) est devenue incontournable à l’heure où les contenus assurant une forme d’éducation à la sexualité (EAS) se multiplient en ligne. Pour Karen Prévost-Sorbe, référente académique en éducation aux médias et à l’information de l’académie d’Orléans-Tours et coordinatrice CLEMI, les liens entre EMI et EAS tendent à se renforcer comme le souligne d’ailleurs le projet de programme d’éducation à la sexualité proposé par le Conseil supérieur des programmes. Cependant, selon elle, “le numérique implique un changement de paradigme dans la vie des adolescents. Les pratiques sexuelles sont beaucoup plus complexes à l’ère d’internet et il faut les comprendre. Il faut inscrire l’éducation aux médias et à l’information et l’éducation à la sexualité dans ce contexte numérique qui change considérablement la donne et les approches”.  

Ce constat semble résonner chez Jean-Baptiste Lusignan, responsable prévention au Crips Ile-de-France. Il est indéniable pour lui qu’internet est devenu un vecteur important d’informations pour l’éducation à la sexualité, rendant l’éducation aux médias et à l’information incontournable dans les interventions de l’association.

Séverin Ledru-Milon, professeur d'histoire-géographie et formateur CLEMI, a interrogé ses élèves de troisième sur leurs usages des réseaux sociaux en leur posant la question suivante : “Est-ce que tu vas sur les réseaux pour poser des questions que tu ne peux pas poser à d’autres ?”. Selon lui, les résultats sont frappants : “on arrive à dégager des tendances : une des surprises c’est qu’il y a beaucoup d’élèves qui vont sur les réseaux sociaux pour apprendre : 60 % de filles et 40 % de garçons”. Selon lui, l’éducation aux médias et à l’information et l’éducation à la sexualité sont indissociables à l’ère d’internet : “les élèves rencontrent beaucoup l’altérité sur internet, ce qui est positif. [...] L’éducation aux médias et à l’information doit fournir aux élèves un esprit critique qui va leur permettre d' appréhender de manière intelligente ces contenus en ligne”.

Partir des pratiques réelles des élèves pour construire une séance d’éducation à la sexualité autour de l’éducation aux médias et à l’information

Pour Karen Prévost-Sorbe, “il faut partir réellement des pratiques des élèves et non des pratiques imaginées, sans tomber dans la panique morale”. Pour ce qui est du choix des contenus à étudier en classe, la méthode est la même : “mettre la focale sur les pratiques positives des jeunes." Par exemple, “pour comprendre les usages sexuels des jeunes, nous ne pouvons pas nous limiter à la pornographie.” De plus, pour choisir un “bon” contenu, la coordinatrice CLEMI insiste sur l’importance “d’évaluer les comptes” et de “sourcer, placer l’émetteur du contenu à sa juste place” en distinguant bien les contenus selon leurs visées.

Séverin Ledru-Milon et Jean-Baptiste Lusignan souhaitent également éviter une logique descendante. Séverin Ledru-Milon insiste même sur un point : “l’esprit critique se construit en amont des séances, [...] il est étonnant de voir la capacité des élèves à s'indigner et à signaler des contenus dans une démarche proactive”. Bien qu’il soit en accord avec l’idée de partir des contenus visionnés par les élèves, le choix des contenus doit être adapté à l’âge et à la maturité du public. Des critères qui peuvent varier selon les élèves : “ce qui réfrène les professeurs, c’est la différence d’usage entre les élèves, personne n’a envie d’être celui qui confronte l’élève [à un contenu inapproprié].”

Pour en savoir plus sur le parcours de signalement en ligne et ses carences

Jean-Baptiste Lusignan revient quant à lui sur la pédagogie d’éducation aux médias et à l’information appliquée par les intervenants du Crips Ile-de-France. Les contenus choisis sont tout d’abord ceux des “médias officiels ou éducatifs comme Santé Publique France”, puis ceux créés par le Crips. Les intervenants s’appuient par ailleurs “sur ce que les élèves voient [en ligne ou sur les réseaux sociaux]” pour les “décrypter en direct”. Selon lui, “c’est de l’échange entre professeurs et élèves qu’émergent des contenus appropriés et à jour”. L’importance d’adapter les sujets à l’âge des élèves est également au cœur de son discours : “Selon les âges, nous n’abordons pas la question de la même manière. Par exemple, nous observons que les plus jeunes jouent “au papa et à la maman” donc nous pouvons aborder avec eux la notion de couple, qu’est-ce qu’une fille ? un garçon ?”. Pour une séance d’éducation aux médias et à l’information réussie en éducation à la sexualité, son conseil est simple : “ne pas essayer de faire jeune” et laisser le public concerné actualiser les propos avec ses propres références. L’un des défis selon lui réside enfin dans la capacité des animateurs de séances d’EAS à trouver “les bonnes ressources” et à réussir “se mettre à jour régulièrement”.

Lire l'entretien avec trois enseignants

Diffuser l’éducation aux médias et à l'information appliquée à l’éducation à la sexualité dans toutes les disciplines scolaires

Karen Prévost-Sorbe considère que l’éducation aux médias et à l’information est un enseignement transversal qui devrait être mobilisé dans toutes les disciplines scolaires : “je ne pense pas qu’il soit souhaitable qu’il y ait des séances d’EMI, il faut que ce soit porté au sein des disciplines et parfois avec des actions entre disciplines ». L’enjeu principal selon elle réside dans « la formation initiale et continue du personnel éducatif large ». Elle explique ainsi qu’à l’échelle de l’académie Orléans-Tours, la formation faisant le lien entre éducation à la sexualité et éducation aux médias est construite de manière concertée avec l’ensemble du personnel éducatif. « Pour que la formation soit efficace, il faut la travailler de manière concertée. Nous ne pouvons plus travailler en tuyaux d'orgue, il faut avancer ensemble » explique-t-elle.  Elle déplore par ailleurs qu’en “éducation aux médias et à l’information, [il n’y ait pas] de référentiel de compétences. Il faudrait les définir et être en capacité de les évaluer auprès des élèves”.

Séverin Ledru-Milon insiste également sur le besoin de formation des enseignants face à « deux “éducations à” très denses, complexes, nécessitant beaucoup de ressources ». Comme il le souligne, « les professeurs sont spécialisés dans leurs disciplines mais les ”éducations à” nécessitent de se former en permanence et de sortir de son champ disciplinaire ». Cette année, le formateur CLEMI est intervenu sur un réseau scolaire comprenant à la fois des écoles maternelles, des écoles primaires et des collèges afin de former les professeurs en tandem avec un « formateur sur l’éducation à la sexualité ». Selon lui, cette double approche dans la formation a permis à la fois de présenter le « cadre légal des séances d’éducation à la sexualité » et de montrer que « l’EMI peut être une porte d’entrée intéressante sur ces sujets ». Pour lui, « renforcer les compétences des collègues pour les légitimer dans leurs pratiques futures face aux élèves est le point de départ indispensable ».

Concernant l’éducation à la sexualité, Jean-Baptiste Lusignan rappelle que le Crips Ile-de-France travaille avec des professeurs issus de disciplines différentes mobilisant des contenus pédagogiques variés. De son expérience, il tire des exemples éclairants : “Nous avons rencontré un professeur d’histoire qui assurait cette éducation avec des images de statues grecques, montrant comment le rapport au corps et l’érotisation avait évolué dans le temps. Nous avons aussi rencontré une professeure de français qui utilisait Roméo et Juliette pour parler des relations amoureuses. Les professeurs de technologie pourraient expliquer comment trouver des ressources fiables sur l’éducation à la sexualité en ligne aussi. Tous ces supports sont efficaces”. Jean-Baptiste Lusignan appuie ce point : les équipes pédagogiques au complet devraient être mieux formées aux enjeux d’éducation aux médias et à l’information et d’éducation à la sexualité.

Karen Prévost-Sorbe insiste enfin sur la nécessité d’inclure des acteurs hors de l’école. Pour elle, l’éducation à la sexualité fait “l’objet de vifs échanges, notamment au sein des collectifs de parents. [Ces derniers] sont très attentifs et ont besoin d'être accompagnés dans l'éducation aux médias [appliquée aux sujets de vie affective, relationnelle et sexuelle].L’éducation à la sexualité et l’éducation aux médias et à l’information sont selon elle “deux éducations à” dont la mise en œuvre nécessite un “solide réseau de partenaires sur les territoires”, au-delà de l’institution scolaire.


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