L’éducation à la sexualité en seconde. Échange avec trois enseignants

Salomé Bougon, Céline Cael et Laurent Reynaud enseignent au lycée Jacques Feyder à Épinay-sur-Seine. Ils présentent dans cet entretien la dynamique d’éducation à la sexualité à laquelle ils ont contribué au sein de leur lycée.

Vous êtes enseignants en histoire-géographie, sciences de la vie et de la terre et sciences économiques et sociales. Comment et pourquoi vous êtes-vous investis sur le sujet de l’éducation à la sexualité ?

Céline Cael
En 2020, le sujet de l’exposition aux vidéos pornographiques était très présent dans le débat public. Avec Laurent, nous avions alors monté un projet avec nos classes sur ce sujet, que nous avons résumé dans cet article publié sur le site de l’académie de Créteil. A l’époque, des formations existaient au sein de l’académie de Créteil mais nous nous étions finalement co-formés, en écoutant des podcasts ou encore grâce à des fiches types produites par le groupe d’intervention d’éducation à la sexualité de l’académie de Créteil. Si nos élèves étaient intéressés par ces séances ils semblaient plutôt préoccupés par le sexting, une pratique qui consiste à envoyer des messages à caractère sexuel, et notamment des nudes, c’est-à-dire des photos de soi-même dénudé.

Salomé Bougon
Le constat de départ pour orienter nos séances d’éducation à la sexualité sur ces sujets, au-delà des retours des élèves mentionnés par Céline, est aussi lié aux statistiques sur le nombre de lycéens qui ont déjà été confrontés à des nudes ou des dickpicks ou en ont déjà envoyés. Nous avons alors décidé d’organiser des débats mouvants à partir de situations sur le sexting, le harcèlement en ligne et la notion de consentement et avons partagé cette séance clé en main à nos autres collègues pour qu’ils puissent également s’en saisir. Avec des enseignants de sciences de la vie et de la terre (SVT), d’histoire-géographie et de sciences économiques et sociales (SES), nous sommes parvenus à dispenser au moins une séance d’éducation à la sexualité pour toutes les classes de seconde, ce qui n’était pas le cas auparavant. A noter que nous enseignons dans un lycée classé “politique de la ville”, composé de 20 classes de seconde comportant un maximum de 24 élèves (contre 35 habituellement), ce qui facilite la conduite de ces séances.

Laurent Reynaud
Grâce à des questionnaires distribués à la fin de ces séances, nous avons pu produire des statistiques sur le sexting à l’échelle des 20 classes de seconde de notre établissement : 40% ont déjà reçu un nude non consenti, dont 60% de filles. Nous avons par ailleurs formé des collègues de l’académie de Créteil qui viennent de tout le territoire. Si leur participation à ces formations témoigne de leur engagement et intérêt pour le sujet, la façon de l’aborder diffère d’un enseignant à un autre. Quand certains prennent la voie du sexting ou du consentement, d’autres abordent les enjeux liés à la pornographie ou encore à l’homophobie, ce qui produit forcément un enseignement disparate. Le projet de programme d’éducation à la sexualité publié récemment par le Conseil supérieur des programmes, qui amorce une reprise en main politique, met par ailleurs en lumière une ligne de crête entre le cadrage par niveau qui pourrait freiner certains collègues qui ne se sentent pas aptes à dispenser les séances et la nécessité de garantir l’équité de traitement que doit l’école publique aux élèves.

Quelle place occupent les contenus en ligne dans vos séances d’éducation à la sexualité ?

Salomé Bougon
En tant qu’enseignants, nous nous y intéressons et nous en servons dans la préparation de nos séances pour étayer notre compréhension de ces sujets. Par exemple, j’ai parlé avec mes élèves du compte Instagram No D*ck Pic, qui recense des témoignages de personnes exposées à des nudes - des femmes pour la plupart - fait de la prévention sur ces sujets et évoque les procédures que cela peut engendrer. Nos élèves se nourrissent par ailleurs beaucoup des réseaux sociaux, de TikTok principalement, d’Instagram aussi, mais un peu moins. Si nous leur fléchons ce type de comptes, je pense qu’ils iront voir.

Céline Cael
En prenant l’exemple de nos séances sur la pornographie, nous préférons une approche autour de l’éducation au choix plutôt qu’un discours sur l’interdiction. Cela nécessite de prodiguer une éducation aux images parce qu’elles peuvent diffuser des stéréotypes, sur la disponibilité féminine par exemple. Lors de nos premières séances, plusieurs filles nous ont indiqué savoir tout ce que nous leur avions partagé grâce au compte Instagram period.studio. Quand nos élèves nous affirment avoir déjà vu ces sujets sur les réseaux sociaux, je reste prudente. Il y a une différence entre le fait de savoir, d’en avoir conscience et ce que nous visons en termes d’éducation (par exemple le fait de réussir à l’exprimer par écrit, de se placer dans une logique d’abstraction, de pouvoir déconstruire ces images dans tous les contextes). J’ai l’impression que cela reste assez hétérogène et pose la question de l’accès aux contenus puisque seuls certains élèves suivent déjà ces réseaux et seront demain capables de réemployer ces notions dans d’autres contextes, d’autres non. C’est à la fois une faiblesse et une force permettant d’alimenter les discussions en classe.

Laurent Reynaud
En tant qu’enseignants, nous sommes conscients que nous avons une vision biaisée. Je ne sais pas du tout quels réseaux ou quels médias mes élèves consultent. Je sens bien que certains élèves sensibilisés et documentés suivent des comptes sur les réseaux sociaux, mais je suis incapable de le quantifier. En SVT par exemple, s’il nous arrive de fournir des comptes de réseaux sociaux parmi d’autres ressources pour illustrer un cours, il faudrait leur demander directement s’ils les consultent. Il nous faut aussi être vigilants concernant notre lecture en tant que public adulte de ces comptes : nous pouvons regarder un compte Instagram et trouver le ton jeune, cool et penser qu’il pourrait correspondre aux attentes de nos élèves, mais ce n’est pas parce qu’un compte vise un public jeune qu’il le rencontre. C’est en tout cas un sujet de discussion intéressant avec eux.

Quel regard portez-vous sur l’apprentissage entre pairs appliqué à l’éducation à la sexualité ?

Laurent Reynaud
Si le pair à pair peut permettre d’exprimer plus librement nos questions, il faut préciser que nous ne pouvons pas être sûrs de la fiabilité des réponses. Et c’est bien là tout le paradoxe : il faut de la proximité pour faire émerger une parole authentique des élèves mais une certaine distance est nécessaire pour nuancer ou objectiver ce qu’ils peuvent dire. Sur le sujet du sexting par exemple, nos élèves se sont exprimés assez librement pour dire qu’il ne faut surtout pas envoyer de photos. Se positionner avec distance dans ce cas précis a consisté pour nous à rappeler qu’il ne s’agit pas de ne « surtout pas » envoyer de photos, mais plutôt d’apprécier chaque situation au regard du consentement. Les discussions entre pairs doivent aussi être abondées avec des éléments fiables. Le décentrage de la réflexion me paraît tout aussi intéressant : mettre les élèves dans la peau d’un journaliste ou encore d’un économiste leur permet de formuler un avis « en tant que » et ainsi de ne pas tout aborder par le prisme individuel.

Céline Cael
L’échange entre pairs est intéressant pour partager des témoignages notamment mais le rôle de l’enseignant et plus largement de l’école est d’objectiver les choses, de permettre de discuter d’un sujet à travers un regard de chercheur, à travers des faits scientifiques, qui vont au-delà du déclaratif. Sur le sujet de l’homophobie par exemple, notre rôle pourrait être de montrer de manière objective que cette norme de l’hétérosexualité n’a pas lieu d’être, de dénaturaliser les choses grâce aux apports de chercheurs.


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