Des communs contre les pollutions : encourager la mobilisation citoyenne

Le 10 avril, lors du lancement de la 3e saison de l'Accélérateur d'initiatives citoyennes, le Conseil a animé un atelier sur l'engagement des citoyens dans la lutte contre les pollutions, soulignant l'importance d'intensifier leur prise en compte dans l'élaboration des politiques publiques. 

L’accélérateur d’initiatives citoyennes fête ses trois ans !

Stéphanie Schaer a introduit la journée en présentant l’Accélérateur d’initiatives citoyennes (AIC) et la façon dont il s’inscrit dans la politique de la DINUM à destination des communs numériques (pour en savoir plus, retrouvez notre entretien de Stéphanie Schaer). Créé il y a deux ans, l’AIC est un programme de l'État visant à soutenir des projets d'intérêt général, portés par la société civile. Stéphanie Schaer a alors rappelé l’importance d’accompagner les différents projets d’initiatives citoyennes pour les amener à se pérenniser, rappelant que « les communs sont une autre façon de réussir les politiques publiques ».

Ensuite, l’équipe de l’AIC a présenté ses différentes activités depuis sa création, la méthodologie de travail qu’elle a empiriquement créée et les défis rencontrés dans le cadre de leurs missions. Plusieurs porteurs de projets ont témoigné de l’accompagnement apporté par l’équipe de l’AIC, de la confiance qui s'est construite progressivement et des projets collectivement envisagés pour l'avenir.

Cette matinée a dévoilé les horizons d’un partenariat inspirant entre l’administration et les communs numériques, ouvrant la voie à une coordination pour l’élaboration de politiques publiques avec des projets citoyens à l’aide du numérique. Pour preuve, la présentation des projets accompagnés par l’AIC a suscité un bel enthousiasme parmi les participants dont certains ont exprimé leur souhait de voir éventuellement émerger une entité similaire à l'AIC au sein de leur propre administration. Au-delà de la pérennisation de communs numériques, ce dispositif démontre à quel point il est important de collaborer autour des questions numériques, en réunissant autant les pouvoirs publics que les citoyens, pour faire du numérique un levier pour atteindre des objectifs sociaux.

L’animation d’un atelier sur les initiatives citoyennes dans la lutte contre les pollutions

Quelle importance revêt l’engagement des citoyens dans les efforts de lutte contre les pollutions ? Les citoyens sont directement affectés dans leur quotidien par les pollutions et leur engagement est crucial pour comprendre et lutter contre ces phénomènes. En complément des mesures gouvernementales et des avancées scientifiques, ces derniers s'impliquent massivement et cette mobilisation citoyenne conduit à la création de communs de la connaissance environnementale, essentiels pour comprendre les pollutions et trouver les remèdes les plus adaptés. Ces ressources sont notamment constituées de données fournies par divers dispositifs couvrant une large gamme de préoccupations environnementales telles que la qualité de l'air, de l'eau, du littoral, du bruit, du radon, et bien d'autres :

Entourés d’experts, nous avons discuté des différentes implications de la puissance publique au sein de ces dynamiques citoyennes. Ces deux heures de discussion ont alors permis de mettre la lumière sur les principaux axes de préoccupations des acteurs dans le but de faciliter et de renforcer l'intégration des initiatives citoyennes dans les politiques publiques. Ont participé à cet atelier des représentants de divers projets citoyens, des chercheurs et d'autres acteurs intéressés par les enjeux de lutte contre les pollutions en tous genres et la participation citoyenne : Morgane Chevalier (AIC), Maryse Carmes (chercheuse en sciences et métrologies participatives en contexte numérique), Arnaud Can (SonoRezé), Antoine Dupont (Fabrique des mobilités), Antoine Gaboriau (doctorant en sociologie), Anaelle Jamard-Moreau (France Nature Environnement IDF), Alicia Mansilla-Sanchez (Mosaic), Maryam Rashidi (chercheuse en gouvernance des transformations sociales), Tony Renucci (Respire), Christian Simon (OpenRadiation), Romain Talès (Numéricité), Felix Veith (Pyronear). Merci à tous pour votre présence !
 

 

Passer du besoin à l’action : des voies d’engagement multiples

Le point de départ est unanime : les initiatives citoyennes sont très nombreuses dans le domaine de la lutte contre les pollutions et recouvrent des formes diverses. Cette multitude constitue la force de l‘engagement citoyen, et doit être pleinement prise en compte si l’on veut correctement penser leur collaboration avec l’acteur public. Suivant les configurations, le degré de motivation et d’intervention des citoyens sera plus ou moins tangible. Généralement, on retrouve trois configurations possibles d’implication citoyenne : des projets portés dès leur lancement par des citoyens ou des collectifs de la société civile organisée (associations, ONG, etc.) et perdurant de manière autonome ; des programmes de sciences participatives menés par des chercheurs en lien avec des thématiques environnementales (ceux-ci pouvant impliquer ou non un acteur public) ; ou encore des démarches participatives organisées par l’acteur public pouvant aller de la consultation à la co-construction avec des citoyens. L’implication citoyenne traduit un intérêt, voire une inquiétude, par rapport à des problématiques et s’incarne en des formes et expressions, variées d’engagement : la consultation, la pétition, la collecte de données, la participation à des études, le regroupement de témoignages… Cette diversité complexe rend inévitablement l'analyse plus ardue, mais elle constitue une palette de nuances indispensable pour élaborer une réflexion sur ces initiatives. Ainsi , la compréhension de ces dynamiques oblige une prise en compte des problèmes portés (leur communication-traduction, selon divers points de vue), des objectifs de la démarche, de l’organisation et de la gouvernance adoptées, des motivations collectives et individuelles.

La vocation qui est à l’origine du projet détermine alors la nature et le niveau de la contribution citoyenne, ce qui a des répercussions sur les actions, le rôle, la posture et les objectifs des autorités publiques impliquées dans le projet. Dans le premier cas, les citoyens agissent de leur propre initiative pour alerter et interpeller l’acteur public sur une pollution, sensibiliser les citoyens aux dégâts ou encore mesurer les phénomènes. Il s’agira alors de se mettre à l’écoute des sollicitations et à veiller à ne pas dénaturer l’approche citoyenne en s’investissant dans le projet. Dans le second cas, lorsque c’est l’acteur public ou des chercheurs qui initient le projet, l’enjeu principal sera de stimuler la mobilisation  des citoyens en parvenant à les convaincre de l'intérêt de participer au projet et d’y investir de leur temps, sans les sur-responsabiliser dans des prises de décisions. “Comment mobiliser les citoyens pour des problématiques déjà conçues à l’avance ? Si les citoyens n’expriment pas le besoin de lutter contre cette pollution, nous sommes déjà en train de faire fausse route”.

Cette analyse est cruciale, car le risque souvent observé par les participants est que sans la prise en compte des spécificités de l’engagement citoyen, la participation citoyenne peut être dévoyée ou alors être perçue comme une manière de déléguer aux citoyens la responsabilité des missions de service public. “Il y a parfois une absence de volonté à la participation, car on estime que c'est la responsabilité de la collectivité territoriale et non du citoyen”. Cela nécessite donc une définition claire du rôle des citoyens au sein du processus et des objectifs de l’acteur public, tout en assurant une flexibilité opérationnelle pour ajuster le projet au fil de son évolution.

Le rapport du citoyen à la science : un équilibre entre vulgarisation, participation et professionnalisation

Le deuxième défi, largement débattu avec les participants, concerne la question des données, de leur collecte à leur exploitation. Les données impliquent un aspect technique qui peut constituer un obstacle à la participation des citoyens, qui ne maîtrisent pas tous naturellement cet aspect. Cependant, ces données sont une composante essentielle pour le succès du projet et pour sa légitimité aux yeux des autorités publiques. Ce constat partagé pose alors deux défis, en apparence opposés mais finalement complémentaires : d'une part, la nécessité de rendre les données compréhensibles pour les citoyens, et d'autre part, celle d'assurer la qualité des données, leur analyse et leur utilisation à un niveau scientifique.

En premier lieu, familiariser les citoyens avec les données est un indispensable pour la réussite d'un projet. En effet, les citoyens ne sont généralement pas des experts en la matière et le but n’est pas qu’ils le soient. Il existe diverses approches à cet égard, souvent accompagnées de formations et d'apprentissages au sein des structures concernées. Si les citoyens sont impliqués dès la collecte de données, certains projets s'efforcent d'adapter leurs outils numériques pour les rendre plus accessibles, comme des applications mobiles ou des capteurs individuels simplifiés. Cependant, pour que le citoyen comprenne les outils et données qu’il manipule, il apparaît essentiel de “contextualiser ses actions dans le cadre du projet et de lui fournir une compréhension claire de l'utilisation qui sera faite des données collectées”. Puisqu’il ne faut pas oublier que la donnée n’est pas une fin en soi mais doit servir une finalité. Il faut alors penser à la manière “dont les données vont se placer dans une stratégie globale d’action“ et ainsi mettre l’accent sur leur restitution auprès des citoyens. Dès lors, il est nécessaire de décrire comment l'action des citoyens, qu'il s'agisse de collecte de données ou autre, se traduira concrètement dans l'action publique envisagée, en prenant en compte la possible “décorrélation du temps citoyen au temps de l’administration” soulignée par les participants qui peut conduire des frustrations.

À cet enjeu de vulgarisation s’ajoute la question de la qualité des données collectées par les citoyens. Ici, a alors été mentionnée l’opportunité de se saisir de ce type d’initiatives pour accroître la familiarité des citoyens avec la démarche scientifique et mettre la science au cœur des débats publics. Cette professionnalisation des projets implique de compléter la nature citoyenne du projet par une analyse scientifique des données recueillies menée par des experts scientifiques. Ces experts permettent de contextualiser les données dans un cadre plus large que celui du projet et renforcent le message que les citoyens cherchent à transmettre. Ce qui est assez décisif car il peut arriver que les pouvoirs publics manifestent une certaine méfiance sur les jeux de données citoyens et préfèrent se tourner vers des données institutionnelles (produites directement par l’acteur public ou la recherche). C’est pourquoi, pour affirmer un niveau de fiabilité suffisant, les jeux de données doivent prendre en compte divers paramètres afin d'assurer leur qualité et leur précision, notamment en ce qui concerne leur granularité et leur fréquence de collecte, ce qui ne peut se faire sans l’aide de scientifiques : “La légitimation des données et la fiabilisation des protocoles se fait grâce à l’implication des scientifiques dans le processus”.

Cependant, il est important de veiller à ce que cela n'entraîne pas une dépossession de la maîtrise du projet par les citoyens qui pourraient se sentir démunis ou inutiles devant les développements scientifiques. Bien que les citoyens puissent eux-mêmes rechercher une validation scientifique de leur travail, l’aval de spécialistes ne doit pas prendre le pas sur la nature citoyenne du projet. L’apport des citoyens issu de leur éloignement avec la science est par ailleurs considérable : leur expérience sensible des pollutions complète l'approche scientifique des phénomènes. Comme souligné par une participante, “la rigueur scientifique vient après l’étape de collecte de données issue de la volonté des citoyens” afin de garantir la continuité de leur engagement. Cela conduit à interroger la place de la science dans les structures citoyennes, les enjeux de vulgarisation, et également les formes de gouvernances. 

Engager la confiance : le choix de la gouvernance citoyenne

Finalement, les deux principaux défis, à savoir la diversité des formes de mobilisation et le rapport du citoyen à la science, découlent d'un enjeu plus vaste : la confiance mutuelle entre les divers acteurs impliqués. Ces deux sujets conduisent à mettre en place une meilleure intercompréhension des parties prenantes. Quand le citoyen est impliqué, l’un des principaux enjeux est d’assurer que son rôle soit bien défini et compris par tous les acteurs, qu’ils soient internes ou externes au projet. Les différentes étapes de la définition des problématiques et des objectifs jusqu’à la diffusion des données doivent être considérées comme des espaces de dialogue entre les parties prenantes, et plus précisément comme un nouvel agencement des interactions au sein du “triptyque citoyens, scientifiques et acteurs publics. Il est donc essentiel de veiller à adapter le discours aux contextes afin de ne pas perdre le citoyen en chemin, tout en persuadant l'acteur public de l'intérêt de la démarche. 

Pour instaurer cette confiance sur le long terme, il est nécessaire de définir et de projeter clairement le rôle de chaque partie prenante, ce qui soulève des questions sur la gouvernance à adopter. Cette gouvernance est un élément clé pour comprendre la culture citoyenne du projet et sa projection dans l’action publique. En définissant une gouvernance, on clarifie les responsabilités de chacun et on établit les conditions d'un dialogue constructif entre les acteurs à chaque étape du projet. L'intégration des scientifiques et des acteurs publics dans la gouvernance marque une étape de maturité du projet citoyen envisagé, mais cela doit se faire de manière à ne pas reléguer les citoyens au second plan dans le “dernier kilomètre de la donnée”. Or, les échanges entre acteurs de natures aussi différentes ne se font pas automatiquement dans la sérénité, surtout sur des sujets aussi cruciaux que la pollution, et peuvent se heurter à des désaccords. Pour maintenir la coopération sur le long terme, il peut alors sembler pertinent de confier à une entité spécialisée la responsabilité d'animer les sessions d’échange. Le rôle de ce tiers serait de faciliter la collaboration entre acteurs variés, en tenant compte à la fois du langage utilisé et des besoins parfois incompatibles de chacun : les envies exprimées par les citoyens ne correspondent pas forcément au calendrier des pouvoirs publics. Le rôle de l'animateur consisterait à résoudre les malentendus entre les acteurs, à apaiser les débats tout en définissant les rôles de chacun, et éclairer leur position. C'est pourquoi la notion de tiers-veilleurs - dont le rôle est “d’accompagner dans la préparation des ateliers et veiller à ce que les objectifs initiaux soient respectés” - est pertinente, bien que des discussions puissent surgir quant à ses attributions ; elle permet néanmoins de figurer le rôle de l'animation et l’importance de la réflexivité collective sur une démarche de sciences participatives.

Enfin, l’une des ambitions développée par les participants est celle de faire émerger des communs de la connaissance environnementale par le rassemblement citoyen et ainsi développer une culture scientifique locale, de sorte que les ressources collectées par les citoyens deviennent un savoir partagé entre eux, plutôt qu'une simple matière première pour l'action publique. Il y a une volonté d’autonomiser les citoyens sur les enjeux de pollution et renforcer leur capacité à plaider en faveur de certaines actions. “L’implication des citoyens dans la mesure des phénomènes vise plutôt à inciter l’action des citoyens qu’à dresser un diagnostic”. C'est d'ailleurs ce qui fait la valeur ajoutée de ces initiatives ; au-delà de l’action de contribuer, elles renforcent les citoyens et leur permettent de participer activement au débat, ce qui conduit certains à parler de "petites démocraties". Elles façonnent alors des espaces d’apprentissage collectif fondés sur un nouveau mode de relation locale entre citoyens, science et acteur public, où le citoyen joue un rôle à part entière. Cet objectif ne peut être atteint sans qu'une confiance mutuelle se développe entre les acteurs.

Ce qui ressort avant tout, c'est “la nécessité d'encourager les acteurs publics à s'ouvrir aux initiatives citoyennes pour améliorer continuellement leurs politiques publiques avec les citoyens”. Bien que cette démarche puisse présenter des défis, elle contribue à rationaliser le rôle des citoyens dans l’élaboration de politiques publiques sur des aspects essentiels de leur quotidien, tout en favorisant l'émergence d'espaces démocratiques fondés sur la compétence des citoyens et entre ces derniers, la science et l’acteur public. L’atelier se termine ainsi sur un appel aux acteurs publics à “ne plus avoir peur de miser sur l'intelligence collective dans la conduite des politiques publiques !

Un grand merci à la DINUM et aux équipes de l’AIC pour l’organisation de cette journée !


 

Atelier

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