Propositions d'amendements du Conseil National du Numérique au projet de loi pour une République Numérique

  En octobre 2014, le CNNum lançait une concertation nationale sur le numérique, ayant donné lieu au rapport Ambition Numérique. Suite à cela, la 26 septembre 2015, le gouvernement a dévoilé son projet de loi pour une République Numérique. Ce dernier est soumis à consultation publique pour trois semaines avant d'être présenté au conseil des ministres d'ici la fin de l'année. Retrouver ici les propositions du Conseil national du numérique ainsi que les amendements qu'il approuve et n'hésitez pas à les soutenir !

Propositions d'amendements du CNNum

LA CIRCULATION DES DONNÉES ET DU SAVOIR

ARTICLE 1 : Open Data par défaut Soutenir l’amendement : Limiter le nombre de licences possibles et promouvoir les licences OBDL L’article ne fait pas mention des licences de réutilisation des données publiques. Or :

  • La multiplication des licence augmente l’insécurité juridique lors de la réutilisation de données publiques.
  • Le type de licences utilisé modifie de manière importante le type d’ouverture des données. La licence ODBL permet ainsi, en obligeant à un partage à l’identique, de s’assurer que les données ne sont pas refermées par leurs réutilisateurs et donc de décupler les bénéfices de l’ouverture des données publiques.

Cet article traite de la modalité d’ouverture des données publiques (la publication par défaut) et a pour objectif de diffuser plus largement les données publiques. Or le régime d’ouverture de ces données est défini dans un autre projet de loi, qui transpose la directive PSI de 2013. Il s’agit donc de mettre les ambitions de ces deux projets de loi en cohérence, en donnant aux principes d’ouverture et de gratuité leur pleine effectivité.

Soutenir la proposition d’article : Renforcer les modes d’intervention et les moyens de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) Les modes d’action de la CADA ne sont pas adaptés aux enjeux numériques. Plusieurs pistes de réflexion doivent être envisagées :

  • L’élargissement des pouvoirs de conseil de la CADA ;
  • L’extension du périmètre des avis de la CADA aux modalités techniques d’accès aux documents administratifs, notamment sur les conditions de mise en forme des données qu’ils contiennent et leur mise en ligne.

La proposition du CNNum vise à renforcer la portée des avis de la CADA et la reconnaissance de pouvoirs de sanction/d’astreinte en cas de non-respect par l’administration de l’avis rendu.

ARTICLE 7 : Accès à la statistique publique à certaines bases de données privées

Soutenir l’amendement : Élargir les finalités de réutilisation des données d'intérêt général L’article subordonne l’accès des pouvoirs publics à des bases de données privées à des fins statistiques. Or il est parfois d’intérêt général de pouvoir croiser des données privées avec des données publiques pour des finalités qui ne soient pas simplement statistiques, mais qui servent directement l’efficacité de certaines politiques publiques. Il est donc nécessaire de prévoir que des données privées puissent être mises à disposition d’acteurs publics autres que l’INSEE, avec les garanties juridiques suffisantes.

LA PROTECTION DANS LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE

ARTICLE 12 : Portabilité des données

Soutenir l'amendement : Consacrer un droit effectif à la portabilité des données La portabilité, qui découle du droit à la libre disposition de ses données et à l’autodétermination informationnelle, consiste en la restitution aux individus des données collectées dans le cadre de l’utilisation des services, pour leurs usages personnels ou pour le partage vers d’autres services. L’objectif est notamment de permettre à l’utilisateur de ne pas être enfermé dans un écosystème captif et de faire lui-même usage de ses données. Afin que la portabilité ne soit pas une simple redite du droit d’accès et rende possible l’émergence d’un écosystème foisonnant autour de la donnée, il est nécessaire qu’elle s’accompagne :

  • d’un service d’export depuis le compte client ainsi que d’une interface de programmation (API) ;
  • de la restitution des données dans des formats ouverts, standards et lisibles par des automates ;
  • d’un mode « delta », permettant de ne récupérer que les nouvelles données entre plusieurs exports ;

Une mise en œuvre différée est également préconisée pour laisser le temps aux fournisseurs de services en ligne de s’organiser et se préparer à ces nouvelles dispositions. Les autorités administratives compétentes seront par ailleurs chargées d'accompagner les entreprises dans l'appropriation de ces dispositions.

ARTICLE 13 : Principe de loyauté des plateformes en ligne

Soutenir l’amendement : Introduire le principe du contradictoire dans le retrait/déréférencement de contenus par les plateformes Le principe du contradictoire signifie que chacune des parties à un litige est en mesure de discuter et contester l’énoncé des faits et des arguments que lui oppose son adversaire. Le CNNum se prononce en faveur d’une introduction de ce principe, en matière de retrait de contenus, dès lors que cette mesure s’apparente à une sanction. Ce droit découle de l’obligation de loyauté.

Soutenir la proposition d’article : Création d’un parquet numérique spécialisé sur les questions de contenus illicites en ligne Il est nécessaire d’adapter l’appareil répressif au service d’une réponse judiciaire efficace dans l’environnement numérique. Le CNNum est conscient que la réaffirmation du rôle du juge ne peut se faire sans un renforcement en profondeur de ses moyens d’action visant à obtenir des décisions en temps court, adaptées aux réalités auxquelles elle doit faire face. La création d’un parquet spécialisé doit viser à systématiser la réponse pénale aux contenus illicites sur Internet.

ARTICLE 16 : Libre disposition de ses données S

outenir l’amendement : Soumettre le responsable de traitement à une obligation de résultat quant à la sécurité des données L’article 34 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978 prévoit que “le responsable du traitement est tenu de prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher qu’elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès.” Il s’agit d’une obligation de moyens : il revient donc à la personne qui s’estime victime, d’une fuite de données par exemple, de prouver que le responsable de traitement n’a pas tout mis en oeuvre pour assurer la sécurité des données. Cette preuve, très difficile à rapporter, empêche de nombreuses actions judiciaires d’aboutir. Il est donc proposé de renverser la charge de la preuve, au bénéfice de l’individu s’estimant lésé, en instituant pour le responsable de traitement une obligation de résultat. En cas de fuite de données, la responsabilité du responsable de traitement sera présumée. A lui de rapporter la preuve que la fuite provient d’une cause étrangère (force majeure, par exemple).  

L'ACCÈS AU NUMÉRIQUE

Soutenir la proposition d’article : Création d’un statut de médiateur numérique Cette proposition d’article crée un statut professionnel de médiateur numérique afin d’harmoniser les compétences requises des professionnels recrutés localement et de s’assurer qu’ils présentent les qualités pour être, outre des techniciens, des formateurs capables de comprendre les nouveaux enjeux posés par Internet, de s’adresser à des publics divers et de faire preuve de pédagogie. Les médiateurs remplissent des fonctions qui resteront essentielles. Ils ne bénéficient pourtant pas d’une grande reconnaissance et encore moins de perspectives professionnelles.

Soutenir la proposition d’article : Accès Internet dans les prisons Ces propositions d’articles visent à modifier la loi pénitentiaire de 2009 afin d’y importer le droit d’accès au numérique pour les détenus. En effet, bien que l’accès au numérique des personnes privées de liberté est une condition indispensable à leur réinsertion et à la prévention de la récidive, force est de constater aujourd’hui que cet accès est plus que restreint dans l’ensemble des lieux de privation de liberté.  

Amendements soutenus par le CNNum

LA CIRCULATION DES DONNÉES ET DU SAVOIR

ARTICLE 8 : Définition positive du domaine commun informationnel

Soutenir la proposition d'article : Introduire dans le droit français la "liberté de panorama" Le fait que cette exception n’ait pas été introduite en droit français pose de nombreux problèmes car cela empêche le rayonnement du patrimoine français auprès de 3 milliards d’internautes. Il semble regrettable que la France, à dessein, ne facilite pas le rayonnement de sa propre culture. Sur Wikipédia, il est par exemple impossible d’illustrer les articles consacrés aux architectes contemporains avec des images de leurs réalisations situées en France. Aucune photo de la Défense, près de Paris, n’est sur la Wikipédia francophone, et ce n’est qu’en 2013, au moment où l’œuvre de Hector Guimard est entrée dans le domaine public, que des images de bouches de métro parisiennes ont pu être publiées. Cette situation ne profite à personne, et certainement pas aux architectes, dont l’œuvre ne peut pas être mise en valeur. Ainsi il est souhaitable que toute reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause devienne légale pour les œuvres architecturales, sculptures et œuvres d’art permanentes placées dans des lieux accessibles par le public. Elles constituent donc une grande partie patrimoine culturel français, à plus forte raison dans le cas de bâtiments payés sur des fonds publics, qu’il s’agisse de la bibliothèque François-Mitterrand ou du Stade de France.

Soutenir l'amendement : Éviter la légalisation du copyfraud

L'article prétend définir un domaine commun et garantir les usages associés, mais en l'état, il risque paradoxalement de conduire à une légalisation des pratiques de réappropriation abusives. Il est admis que les informations, les faits, les idées ne peuvent en elles-mêmes directement faire l'objet d'un droit de propriété. Même lorsqu'elles sont incluses dans une base de données, ce ne sont pas les données en elle-mêmes qui font l'objet d'un droit de propriété intellectuelle mais la structure de la base de données. Or ici, l'article sous-entend que ces éléments pourraient faire l'objet d'un droit de propriété et fragilise la protection du domaine commun plus qu'il ne le protège. La même remarque vaut pour les « obligations contractuelles ou extra-contractuelles ». Avec une telle restriction, de simples conditions d'utilisation d'un site internet pourraient, par leur seule force contractuelle, faire obstacle à la réutilisation d'éléments du domaine commun. La fin de l'article doit donc être supprimée, sous peine de vider de son sens les dispositions qui suivent : « Elles ne peuvent, en tant que tels, faire l'objet d’une exclusivité, ni d'une restriction de l’usage commun à tous ».

Soutenir l'amendement : Élargir les possibilités d'action contre les atteintes au domaine commun informationnel

La rédaction actuelle du projet de loi restreint l'intérêt pour agir en défense du domaine commun à des associations agréés. Si l'on souhaite que la protection du domaine commun soit effective, il importe d'ouvrir plus largement ces possibilités d'action en supprimant la procédure d'agrément préalable, ainsi qu'aux simples individus. Par ailleurs, il est nécessaire que cette action ne se limite pas à demander que cesse l'atteinte au domaine commun, mais aussi que la responsabilité des fautifs puissent être engagée.

Soutenir la proposition d'article : Reconnaitre les communs volontaires

Les Communs ne sont pas constitués uniquement d'un domaine public statique. La partie la plus vivante des communs est aujourd'hui constituée par des ressources mises volontairement en partage par leurs créateurs : logiciels libres ou Open Source, œuvres placées sous licence Creative Commons, objets en Open Design ou en Open Hardware, etc.

Ces communs volontaires ou consentis méritent une existence législative et une protection par la loi contre les tentatives de réappropriation abusive. L'article ici proposé précise les modalités par lesquelles des titulaires de droits peuvent choisir d'autoriser des usages communs sur leurs créations, notamment par le biais de licences libres ou de libre diffusion. Il leur permet de moduler le degré d'ouverture de ces usages communs selon leur volonté et ne remet pas en cause le droit moral dont ils bénéficient.

ARTICLE 9 : Libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique

Soutenir l'amendement : Open access: une durée d'embargo plus courte, ne pas entraver le TDM (fouille de texte et de données) et ne pas interdire une exploitation commerciale

1.Les délais de douze et vingt-quatre mois sont trop longs, ils constitueraient un handicap pour la recherche française et sa diffusion face aux autres pays. Ainsi nous approuvons totalement l'argument de la proposition de Christine Ollendorf "Aligner les délais d'embargo sur ceux de la communauté européenne (6 et 12 mois)" https://www.republique-numérique.fr/consultations/projet-de-loi-numérique/consultation/consultation/opinions/section-2-travaux-de-recherche-et-de-statistique/article-9-acces-aux-travaux-de-la-recherche-financee-par-des-fonds-publics/versions/aligner-les-delais-d-embargo-sur-ceux-de-la-communauté-europeenne-6-et-12-mois

2.L'accès ouvert aux publications scientifiques est vital pour la recherche et ses applications. De plus les dispositifs de fouille dans l'immensité des données et des publications, rendus possibles par leurs traitements électroniques, constituent un enjeu crucial pour l'avenir de la recherche. La plupart des grands pays de recherche (Allemagne, Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni,...) ont adopté de telles dispositions : la France ne saurait adopter des dispositions qui la mettent à l'écart de la commuanuté scientifique internationale.La loi ne saurait autoriser un éditeur à détenir l'exclusivité des droits de fouille des données (TDM : Text and Data Mining) sur les documents et données qu'il publie, dès lors qu'ils résultent de recherche financée au moins pour moitié par des fonds publics. Sinon, cela constituerait un obstacle à une utilisation libre et gratuite de connaissances issues de cette recherche et un handicap lourd pour la recherche en France, alors que beaucoup de pays (Allemagne, Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni) ont clairement opté pour une législation interdisant une privatisation des données nécessaires au TDM. La version actuelle de l'article 9 n'évoque pas ces aspects et laisse un vide juridique sur cette question capitale.

3. Les possibilités d'exploitation commerciale des résultats de la recherche (publique et/ou privée) sont déjà régies par un ensemble de règles et de lois, et par des contrats spécifiques. Le fait de mettre à disposition sur une plate-forme ouverte une publication qui serait par ailleurs disponible seulement sur abonnement payant, ne doit pas empêcher une éventuelle valorisation commerciale de ces travaux de recherche. Actuellement, un grand nombre de laboratoires publics exploitent commercialement les fruits de leurs recherches, qu'ils soient publiés dans des revues payantes, en open access ou les deux à la fois. Interdire une exploitation commerciale dès qu'une publication a été rendue disponible sur une plate-forme ouverte serait un lourd handicap à l'innovation en France.

  LA PROTECTION DANS LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE

ARTICLE 17 : Évolution des missions de la CNIL

Soutenir l'amendement : Ajouter la promotion du chiffrement des communications dans les missions de la CNIL Dans son rôle de promotion des technologies respectueuses de la vie privée et de la sécurisation des données, il convient que la CNIL porte une attention particulière au développement et à la promotion d'outils permettant un chiffrement sûr des informations, données et correspondances des citoyens. Le chiffrement joue un rôle fondamental dans la sécurisation des communications et est une protection efficace contre les atteintes à la vie privée et la surveillance, la CNIL doit donc explicitement l'intégrer dans ses missions d'information et de recommandation à destination des citoyens et des acteurs économiques ou publics.

ARTICLE 22 : Secret des correspondances numériques

Soutenir la proposition d'article : Affirmer et encourager le droit au chiffrement des communications

La pénalisation plus lourde des crimes et délits lorsque des moyens de cryptologie ont été utilisés a pour conséquence de limiter la promotion, le développement et l'utilisation de ces techniques, au détriment de la vie privée des citoyens mais également de la sécurisation des opérations économiques. L'affirmation du droit au chiffrement permet de mettre en cohérence la loi qui affirme le droit au secret des correspondances numériques. Cet amendement a pour objectif de permettre les conditions d'un développement des technologies de chiffrement et donc de permettre aux individus de d'exercer leurs droits au secret des correspondances et des communications.

Soutenir la proposition d'article : Autoriser les actions de groupe notamment en matière d'atteinte au droit sur les données personnelles et la neutralité du Net

L'article L.423-1 du code de la consommation restreint la réparation en cas d'action de groupe aux préjudices matériels : « Seule la réparation des préjudices matériels résultant d'une atteinte au  patrimoine des consommateurs et résultant d'une des causes mentionnées  ci-dessus peut être poursuivie par cette action. »Afin de permettre des actions de groupe notamment concernant l'atteinte au droit sur les données personnelles et la neutralité du Net, il convient de faire porter la réparation à l'ensemble des préjudices et non seulement aux préjudices matériels.

Partager