Le CNNum se réjouit de l'adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi pour une République numérique
Le Conseil national du numérique se félicite que l’examen du projet de loi pour une République numérique à l’Assemblée nationale ait été l’occasion de renforcer significativement le texte
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L’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, le projet de loi pour une République numérique. Ce texte, en gestation depuis plusieurs années, constitue l’aboutissement d’un processus de co-construction inédit : deux grandes concertations nationales - dont une pilotée par le CNNum - ont permis à plus de 26 000 contributeurs de participer au débat. Le projet de loi pour une République numérique sera prochainement examiné par le Sénat. Le Conseil restera vigilant quant aux suites législatives, et espère que les sénateurs auront à cœur de procéder aux dernières améliorations nécessaires. Le Conseil national du numérique se réjouit de l’adoption, par l’Assemblée nationale, du projet de loi pour une République numérique. L’examen de ce texte a été marqué par une très forte mobilisation des députés : plus de 1 500 amendements ont été déposés et quatre commissions permanentes se sont saisies du texte. Le Conseil tient par ailleurs à souligner la qualité des débats, tenus en commissions et dans l’hémicycle, qui témoigne d’une appropriation forte de ces enjeux par la représentation nationale. Pour Benoît THIEULIN : “Une fois encore, l’examen parlementaire des enjeux numériques a conduit les députés à dépasser les clivages politiques traditionnels. C’est une preuve que le numérique peut renouveler les logiques politiques traditionnelles ; et plus encore, qu’il annonce les clivages de demain”. Le Conseil national du numérique se félicite des très nombreuses reprises de ses propositions. A cet égard, il est satisfait d’avoir pu jouer à plein son rôle d’éclairage des débats publics, comme l’y invite son décret d’institution. Dans le détail, le débat à l’Assemblée nationale a permis d’améliorer sensiblement un certain nombre de dispositions :
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En premier lieu, le Conseil salue l’adoption de l’amendement relatif à la remise d’un rapport sur la nécessité d’instituer une consultation publique en ligne sur tout projet de loi avant son dépôt au Parlement. Bien que timide, cette disposition témoigne d’une volonté d’associer plus étroitement les citoyens à la construction de loi, sur le modèle réussi des différentes concertations ayant abouti à ce projet de texte.
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Le Conseil est satisfait des avancées opérées en matière d’open data, avec l’adoption d’un principe d’ouverture par défaut et l’intégration des codes-sources des logiciels développés par l’Etat dans le champ des documents administratifs communicables. Les députés ont par ailleurs affirmé la réutilisation gratuite des données statistiques et la soumission des titulaires d’une mission de SPIC au régime commun de réutilisation des données, ce qui participe d’une meilleure circulation des données et d’une exploitation de celles-ci à des fins d’utilité générale. De plus, le renforcement des pouvoirs de la CADA ainsi que de ses modalités de coopération avec la CNIL vont dans le sens d’une mise en œuvre plus efficace du droit d’accès aux documents administratifs. Le CNNum est favorable à ce que, dans la continuité des débats ouverts à l’Assemblée nationale, se prolonge la réflexion sur l’opportunité d’autoriser les citoyens à demander la communication des documents en ligne (“droit à l’open data”).
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L’équilibre trouvé sur le droit à la portabilité, véritable condition du droit des citoyens à disposer librement de leurs données, se révèle également satisfaisant. Le compromis finalement adopté devrait ainsi permettre de renforcer significativement les droits des consommateurs tout en ménageant les intérêts légitimes des entreprises. Cette disposition est essentielle en termes d’innovation du secteur dans l’économie de la donnée.
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Une solution a également été trouvée en matière de loyauté des plateformes, qui seront désormais soumises à une transparence renforcée sur les éléments pouvant influencer le classement et le référencement. Ces sujets devront par ailleurs faire l’objet d’approfondissement à l’échelle européenne, notamment sur l’équilibre des relations entre les plateformes et les entreprises de leurs écosystèmes. Le Conseil salue par ailleurs les améliorations significatives apportées au système de régulation souple des plateformes en ligne : l’article 23 prévoit désormais qu’une autorité administrative évalue les pratiques des plateformes - et non plus les plateformes - en s’appuyant notamment sur un outil d’échanges citoyens permettant, dans une logique participative, de recueillir les avis des utilisateurs sur le respect, par les entreprises, de leurs obligations.
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Les députés ont soutenu la création d’un droit d’exploitation secondaire pour les chercheurs, qui doit permettre à ces derniers de rendre librement accessibles leurs publications après une courte durée d’embargo, lorsqu’elles sont financées majoritairement par des fonds publics. Par ailleurs, les députés se sont montrés favorables à l’introduction d’une exception au droit d’auteur visant à autoriser les pratiques de fouille de textes et de données pour la recherche. Cette avancée est significative pour le rayonnement et la compétitivité de la recherche française. Le Conseil salue par ailleurs le lancement d’une mission, confiée à Charles HUOT par Fleur PELLERIN et Thierry MANDON, visant à faciliter le recours à ces techniques porteuses de nombreux potentiels pour la découverte scientifique.
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Le CNNum salue l’arrivée du débat sur le domaine commun informationnel à l’Assemblée nationale et la poursuite des réflexions autour de ce statut, largement plébiscité au cours de la concertation publique mise en œuvre par le Gouvernement. La volonté politique, encore réaffirmée par la Secrétaire d’État au Numérique, d'approfondir ces réflexions par l’annonce d’une mission confiée à deux conseillers d’État, est un signal fort, qui permettra sans doute très prochainement l’expression d’une formulation juridique convergente. Par ailleurs, les députés ont d’ores et déjà aménagé le texte dans le sens d’un protection accrue du domaine public, en adoptant un amendement visant à à permettre aux associations dont l’objet est de protéger la propriété intellectuelle, de défendre le domaine public ou de promouvoir la diffusion des savoirs, d’agir en justice contre tout abus ou revendication indue de propriété intellectuelle. Si ces procédures ne permettent toujours pas d’obtenir de réparations face aux préjudices subis, la capacité donnée à des associations de défendre les droits de tous devant un tribunal est un réel progrès. Les récentes polémiques autour de l’entrée dans le domaine public du Journal d’Anne Franck avait en effet démontré l’absurdité de la situation actuelle : Oliver Ertzscheid, un universitaire, seul mais convaincu de son bon droit, est obligé d’assumer individuellement le risque judiciaire d’une publication pour faire valoir ses prétentions à défendre les droits de la collectivité d’accéder à une œuvre du domaine public. La nouvelle promotion du domaine public ainsi amorcée permettra certainement une valorisation accrue du patrimoine et des pratiques amateurs, et ainsi de prolonger l’effort de démocratisation culturelle que le Gouvernement a souhaité engager.
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Le Conseil se réjouit de l’adoption d’un amendement introduisant une action collective en matière de protection des données personnelles. Il s’agit d’un premier pas vers un renforcement d’une régulation “par la base” des marchés. Le Conseil suivra avec attention le projet de loi sur la justice au XXIe siècle, qui devrait être l’occasion d’ouvrir plus largement ce type d’action à la réparation des préjudices moraux.
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Dans la même perspective, le CNNum salue l’adoption des dispositions relatives à l’exemption de peine de « white hat hackers » qui auraient cherché à avertir le responsable d’un site ou une autorité publique d’un risque d’atteinte aux données ou au fonctionnement du système.
En matière de loyauté des plateformes, le Conseil déplore cependant l’adoption d’un amendement (N°268) visant à imposer aux plateformes en ligne l’élaboration de bonnes pratiques consistant “notamment [en] la mise en œuvre de dispositifs techniques de reconnaissance automatisée” des contenus illicites. Sur ce point, il émet plusieurs remarques :
- Le périmètre des contenus concernés par cette disposition est extrêmement large puisqu’il recouvre l’ensemble des contenus illicites (notamment les contenus contrevenants au droit d’auteur, propos haineux, apologie du terrorisme, etc).
- Dans sa rédaction actuelle, cette disposition revient à mettre l’opérateur de plateforme à une obligation de surveillance généralisée. Or, imposer une telle obligation à ces acteurs contrevient au droit de l’Union européenne ainsi qu’à la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui prévoient le régime de responsabilité limitée de l’hébergeur.
- Enfin, cette disposition est de nature à conduire la plateforme à procéder un filtrage automatique et a priori des contenus, qui est préjudiciable à la liberté d’expression. Dans son rapport Ambition numérique, le Conseil s’inquiétait de l’essor de la censure préventive automatisée et appelait à encadrer ces pratiques par une obligation renforcée d’intervention humaine. Si la détection des éventuels contenus illicite doit pouvoir se faire de manière automatisée, il est impératif que l’action de retrait reste le fait d’une décision humaine. Dans une visée plus prospective, le Conseil est d’avis de privilégier les pistes qui associent plus largement les utilisateurs dans les dispositifs de régulation intra-plateformes, que ce soit dans la conception des règles (community standards), la détection des contenus illicites et les sanctions applicables.
Plusieurs autres dispositions, si elles constituent des avancées notables, mériteraient néanmoins d’être renforcées pour s’assurer de leur pleine effectivité :
- L’Assemblée a adopté la liberté de panorama, une exception au droit d’auteur par laquelle sont autorisées la reproduction ou la diffusion de l’image d’une œuvre d’architecture ou de sculpture se trouvant dans l'espace public. Les députés ont choisi de limiter cette reproduction à des fins non-lucratives. Le CNNum considère qu’il s’agit d’un premier progrès, qui permettra certainement une diffusion accrue du patrimoine culturel français. Dans ses précédents avis, le Conseil avait néanmoins recommandé que cette exception englobe également les réutilisations commerciales, à l’instar de ce qui existe dans d’autres pays, notamment européens. Il s’agit en effet d’un enjeu de compétitivité important pour la France, “premier pays touristique du monde”. Cette restriction limiterait de fait la revalorisation de ces œuvres par l’industrie culturelle, mais aussi par des applications ou des services en ligne, qui démultiplieraient l’audience, la notoriété et la richesse dégagée par ces créations, d’ores et déjà rémunérées par des commanditaires - publics dans une majorité de cas. Ainsi, la ville du Havre, classée patrimoine mondial de l’Unesco pour le travail de reconstruction réalisé par l’architecte Auguste Perret, ne peut - et ne pourra pas - être représentée sur l’un des sites les plus visités au monde, l’encyclopédie libre Wikipedia.
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Si le Conseil salue l’adoption par les députés d’un amendement visant à “encourager” le recours au logiciel libre dans l’administration, il regrette néanmoins encore une fois que le texte ne prenne pas une position plus affirmée en faveur d’une priorité pour les caractéristiques offertes par les solutions libres dans la commande publique, alors que le sujet a été plébiscité sur la plateforme de consultation mise en œuvre par le Gouvernement.
- Tout en saluant l’introduction d’un principe fort de neutralité du net et la mise à jour des pouvoirs du régulateur, le Conseil regrette enfin le rejet des amendements relatifs à l’encadrement du zero rating. Le zero rating - qui consiste pour l’opérateur à ne pas décompter certains usages de l’usage data (par exemple : YouTube en illimité sur tel forfait mobile), constitue une atteinte importante au principe de neutralité du net. Cet enjeu est amené à devenir majeur, à mesure que les fournisseurs d’accès Internet remontent dans la chaîne de valeur, en proposant des services et des contenus à leurs abonnés.
Le projet de loi pour une République numérique sera prochainement examiné par le Sénat. Le Conseil restera vigilant quant aux suites législatives, et espère que les sénateurs auront à cœur de renforcer encore plus ce texte.