NEC 2023 – les aidants numériques, un travail social et émotionnel

Itinéraires numériques, la démarche exploratoire de mise en débat du numérique menée par le Conseil partout en France, avait mis en lumière la part sensible de notre relation au numérique. Ce rapport émotionnel s’exprime dans les dynamiques familiales, dans notre relation aux outils numériques ou encore à travers la perception et l’impact de la dématérialisation des démarches administratives sur les citoyens.

Atelier sur la place des émotions dans le débat pendant les rencontres européennes de la participation citoyenne 2023

Comment accueillir et prendre en compte les émotions ? Quelle est la charge émotionnelle liée aux métiers de la médiation ? Lors de l’édition nationale 2023 de Numérique en Commun[s], nous avons animé un atelier intitulé Prendre en compte les émotions dans les dispositifs de médiation numérique. Un public composé en grande majorité de conseillers numériques France Services et de médiateurs numériques a pu échanger sur le sujet. Témoignages, conseils, dispositifs existants, manques à pallier : voici ce qui a été partagé.

Urgence, intimité et émotions

Le caractère tantôt urgent, tantôt intime des demandes d’accompagnement génère un sentiment d’impuissance chez les participants. Au cœur de cet enjeu réside l’accès souvent difficile des publics à leurs droits, face à de nombreuses démarches dématérialisées, et les conséquences qui y sont liées. Le premier témoignage brise la glace de la participation à l’atelier, « un usager en détresse se roule en boule par terre et crie parce que la CAF énonce des données invalides » témoigne une aidante numérique. Exercer un métier lié à la médiation, c’est être régulièrement confronté à l’émotion des personnes accompagnées, positive comme négative, en même temps que l’on rentre dans leur intimité.
 
C’est aussi apprendre à gérer ses propres émotions de médiateur, face à des situations parfois difficiles, et celles de ses collègues également. C’est aussi apprendre à vivre au quotidien avec celles-ci, à les gérer, jusque chez soi, « ce qui est difficile, ce n’est pas tant sur le moment, c’est ce qu’on ramène chez soi » indique une autre aidante numérique.
 
La confrontation des émotions, enfin, semble difficile, « j’offre mon aide, et derrière je m’en prends plein la gueule » témoigne une médiatrice. Pourtant, « le métier de conseiller numérique, c’est de travailler avec et pas pour quelqu’un, on prend la colère, on la gère » complète un participant. L’accompagnement des nouveaux formateurs est donc essentiel : quelle posture adopter ? Comment accueillir ces émotions ? Comment les gérer ? Comment faire la part des choses et détacher sa personne de l’institution que l’on peut représenter dans les yeux de la personne accompagnée ? “La colère, je suis là pour l’écouter, mais pas pour la subir”, conclut une participante.

Médiation pédagogique numérique : proximité et accueil

Un conseiller numérique rappelle le rôle de tiers de confiance qu’il joue dans les premiers échanges avec la personne qu’il accompagne : « il faut redonner confiance, accueillir les émotions et l’histoire personnelle de la personne ». D’autres médiateurs relèvent la nécessité de « se mettre à la place de », « comprendre les difficultés permet d’appréhender la question de l’urgence ».
 
Le temps d’accueil semble jouer un rôle important tout autant que la posture professionnelle du médiateur. Des participants relèvent que « certains semblent avoir oublié que les conseillers numériques France Services faisaient de la médiation ».

La question du parcours de vie est mise en lumière par une médiatrice : « On ne peut pas accompagner quelqu’un sans être accompagné soi-même ».

Besoin de débat et de formations : les dispositifs existants et les pistes à creuser

Les participants ont insisté sur le besoin d’échanges permanents et de retours d’expériences entre eux. Un médiateur a rappelé l’existence d’une messagerie dédiée rassemblant plus de 3 500 aidants numériques sur Mattermost. Il pointe également que les coordinateurs de conseillers numériques France Services sont aussi là pour faire remonter ces enjeux, et que les hubs régionaux ont  un rôle à jouer. Tous insistent sur le fait que l’accompagnement des aidants numériques est primordial. Le travail collectif, en équipe, à travers par exemple la création d’espaces de parole, permet une extériorisation de cette charge émotionnelle reçue par les médiateurs, et la construction collective de solutions.
 
Les questions du recrutement et de la formation sont revenues à plusieurs reprises. Alors que beaucoup d’aidants numériques attestent que leur métier relève pour beaucoup d’un accompagnement social, le recrutement se fait pourtant majoritairement sur les compétences numériques. La formation des aidants numériques gagnerait par ailleurs à proposer des modules sur la psychologie du travail.

Pour aller plus loin, les premiers retours du programme de recherche du dispositif CNFS conduit par Pierre Mazet révélaient fin 2022 un faible taux de satisfaction des CNFS vis-à-vis de leur formation, et un décalage entre cette dernière et la réalité de leurs missions.
 
La séparation même entre travail social et médiation numérique a été remise en question par certains participants : aujourd’hui, les travailleurs sociaux doivent accompagner des personnes dans un environnement numérique (ce qui constitue un manque de leur formation, selon plusieurs interventions), tout comme les médiateurs numériques doivent tenir compte des paramètres sociaux des personnes qu’ils accompagnent (“le numérique, c’est du social”, résume une participante). Des formations croisées et une facilitation des relations interprofessionnelles et inter-structures permettraient de répondre à ce double enjeu.

Un très grand merci à l’ensemble des participants et participantes à l’atelier pour la richesse de nos échanges et le partage de témoignages.

N’hésitez pas à nous contacter à l’adresse info@cnnumerique.fr !