Prix du mémoire 2024 : Sur Twitter, #MeToo, un espace de dénonciation modulaire

Pour la 2e édition du prix du mémoire de recherche du Conseil, la lauréate est Clara Le Gallic-Ach, diplômée du master 2 “Sociologie Quantitative et Démographie” de l’Université Paris Saclay et de l’ENSAE Paris, pour un mémoire qui observe les témoignages de violences sexuelles sur Twitter.

Le prix du mémoire 2024 est décerné à “De l’intime au numérique : Etude des témoignages de violences sexuelles dans le mouvement #MeToo sur Twitter en France.

Une étude de l’expression des victimes de violences sexistes et sexuelles en ligne 

Comment l’analyse des témoignages numériques partagés dans le cadre de #Metoo en France peut-elle enrichir notre compréhension des violences sexistes et sexuelles ? Comment ces témoignages éclairent-ils le rapport des victimes à leurs expériences, leurs besoins et parcours, la façon dont l’espace numérique s’articule avec d’autres espaces de parole et la tension entre intime et public ? Voici les questions posées par Clara Le Gallic-Ach dans son mémoire. À travers l’analyse d’un corpus de 330 000 tweets recueillis entre 2017 et 2022, elle explore pourquoi certaines victimes font le choix de partager leur expérience sur les réseaux sociaux et comment celles-ci l’expriment.

Que ce soit pour partager un récit factuel ou dénoncer un système de violences dans son ensemble, Clara Le Gallic-Ach montre que Twitter offre aux victimes un espace modulable où elles peuvent choisir la durée d’exposition du contenu, incarner leur récit ou rester anonymes, tout en s’affranchissant des contraintes temporelles et juridiques. La volumétrie des témoignages qui y sont partagés montre l’importance des ces espaces en ligne pour la prise de parole de certaines victimes. La chercheuse décortique les violences les plus souvent partagées (souvent les plus graves, mais rarement les violences conjugales par exemple), leur temporalité (souvent des faits anciens plutôt que récents). Son étude met en lumière la porosité qui existe entre les espaces numériques, médiatiques, judiciaires et politiques. Clara Le Gallic-Ach analyse également en quoi ces témoignages numériques complètent les enquêtes statistiques nationales, apportant un éclairage nouveau et complémentaire quant aux violences sexistes et sexuelles en France, par exemple en soulignant que les dénonciations sur Twitter font plus souvent références à des violences subies durant l’enfance que les statistiques nationales ou que les violences conjugales y sont moins présentes que dans la réalité.

Si ce mémoire est dense et riche d’enseignements, il comporte également des limites et biais que Clara Le Gallic-Ach examine sans détour : données manquantes, sur-représentation de certains profils socioculturels… Elle conclut que “même si Twitter permet une certaine démocratisation de la parole [...], cette démocratisation est loin de représenter la diversité des violences [...] et des victimes”. Le croisement et la représentativité des données reste un enjeu fort et interroge quant à la capacité de toutes les victimes à disposer d’un espace d’expression.

Rappelons enfin que l’étude se situe sur une période allant jusqu'à 2022 et que la plateforme, devenue X, est aussi largement dénoncée pour être un espace d’exposition à la violence en ligne sujet à de multiples enquêtes officielles, y compris pénales. Ce qui attire d’autant plus l’attention sur la nécessité de disposer d’espaces d’expression permettant de libérer la parole plutôt que de l'enfermer.

Depuis la soutenance de ce mémoire et l’obtention de son diplôme de master 2, Clara Le Gallic-Ach poursuit ses recherches en doctorat de sociologie à Sciences Po et à l’Ined.


Lire le mémoire

Lire le résumé

Le jury et le Conseil félicitent chaleureusement la lauréate !

Pour aller plus loin :

  • Pour en savoir plus sur la méthodologie du mémoire, voir ce Séminaire INA le lab en 2023 (captation) 
  • Clara Le Gallic-Ach poursuit désormais ses travaux de recherche en doctorat à Sciences Po (CRIS) et l’Ined (UR3), avec une thèse en cours intitulée “Déclarer des violences de genre en France depuis #Metoo” sous la direction de Marta Dominguez Folgueras et Magali Mazuy depuis janvier 2025
  • Enquête sur les violences sexistes et sexuelles à l’université en 2024 : 

Le jury du prix du mémoire 2024 : 

Pour l’édition 2024 du prix du mémoire, le jury était composé de : 

  • Anne Alombert, enseignante-chercheuse en philosophie à l'Université Paris 8 et membre du Conseil national du numérique ; 
  • Stefana Broadbent, anthropologue des pratiques numériques et professeure à l'Ecole Polytechnique de Milan ; 
  • Loïc Duflot, chef du service de l’économie numérique de la Direction générale des entreprises ; 
  • Karl Pineau, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication et co-président des Designers Éthiques ;
  • Célia Zolynski, professeure de droit privé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le mémoire de Clara Le Gallic-Ach se distinguait largement des autres par sa méthodologie et l’étendue de son corpus de données. L’ensemble du jury a souhaité récompenser ce travail d’envergure, d’autant que l’accès à de telles données est chaque jour plus menacé par les plateformes de réseaux sociaux. Ce mémoire présente en ce sens un précieux archivage et pose une question clé : comment poursuivre ses recherches lorsque l’on travaille sur un sujet dont les données nous deviennent inaccessibles ?

Stefana Broadbent

Au-delà de la qualité méthodologique du mémoire de Clara Le Gallic-Ach, ses résultats produisent un véritable appel à la connaissance académique pour poursuivre et enrichir notre analyse des témoignages de violences sexistes et sexuelles en ligne et hors ligne.

Karl Pineau

L’édition du prix du mémoire 2024 en chiffres clés 

Pour cette première édition du prix du mémoire du Conseil, nous avons reçu 41 mémoires répartis dans 14 disciplines et provenant de 22 universités ou écoles réparties sur 9 régions en France métropolitaine.

Cette année, les sujets des mémoires des candidats ont une fois de plus couvert un large éventail de thématiques : intelligence artificielle, espaces démocratiques en ligne, algorithmes de recommandation, transformations numériques du travail, évolution des pratiques pédagogiques, deepfakes, vidéosurveillance, fracture numérique, régulation européenne, etc. Ces sujets illustrent la diversité et la richesse de la recherche française en sciences sociales sur les enjeux numériques. Cette pluralité est également visible dans les disciplines représentées, qui vont du droit aux sciences de l’information et de la communication, en passant par la science politique, la sociologie, les sciences de l’éducation, la psychologie, la littérature, l’économie, la géopolitique, le management, l’anthropologie ou encore la philosophie.

Le Conseil tient à remercier sincèrement l’ensemble des candidats au prix du mémoire 2024.

Pour toute question sur ce projet, n'hésitez pas à écrire à prixdumemoire@cnnumerique.fr.

Mots clés

Projet