Là où le numérique est présent, redoublons de liens sociaux

Là où le numérique est présent, redoublons de liens sociaux ✦ Mais aussi : l’intelligence artificielle peut-elle faire changer d’avis les complotistes ? ✦ Une tribune pour le pluralisme algorithmique ✦ Plus qu’un mois pour postuler au prix du mémoire du Conseil national du numérique !

Bonjour, nous sommes le vendredi 27 septembre 2024. Cette semaine, nous revenons sur les très riches enseignements de la 7e édition de Numérique en Commun[s]. Bonne lecture !

Là où le numérique est présent, redoublons de liens sociaux

Ces derniers jours, ce sont ces liens qui ont rassemblé à Chambéry, à l’occasion de l’édition 2024 de Numérique en Commun[s], près de 2 000 acteurs du numérique d’intérêt général : médiateurs, élus, agents de collectivités… autant de possibilités de rencontres qui nous permettent de partager des ressources et de faire émerger de nouvelles manières de penser et de reprendre la main sur notre relation au numérique.

Dès le premier jour de cette édition, une discussion organisée avec Karen Prévost-Sorbe, référente académique en éducation aux médias et à l’information de l’académie d’Orléans-Tours et coordinatrice académique CLEMI, et Philippe Martin, docteur en santé publique au sein de l'Université de Paris Cité, a été l’occasion de revenir sur un sujet essentiel pour notre bien-être : l’éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS). Si le numérique et les réseaux sociaux notamment permettent de renouveler l’Evars au-delà des seuls temps institutionnels, ils restent néanmoins le réceptacle de contenus haineux, problématiques, voire illégaux, invisibilisant le travail des créatrices et créateurs de contenus enrichissants et dégradant l’expérience en ligne des utilisateurs. Se pose alors la question du lien entre viralité et liberté, abordé à l’occasion d’une seconde table-ronde rassemblant Benjamin Bayart, Dominique Boullier, Benoît Loutrel et Joséphine Corcoral. Suspension de comptes, invisibilisation des créatrices de contenus d'éveil à la sexualité, blocage de réseaux sociaux entiers… autant d’exemples qui ont nourri une conversation plus large sur la latitude que nous choisissons, ou non, de donner aux plateformes pour influer sur la viralité des contenus qui sont publiés sur leurs services. Que l’on parle d’EVARS ou de viralité en ligne, l‘ouverture et la décentralisation des réseaux sociaux peuvent être pensées comme source d’émancipation. Cette idée rejoint une tribune publiée mercredi dans Le Monde et soutenue par une soixantaine de personnalités et d’associations, françaises et internationales, appelant au pluralisme des algorithmes.

L’ouverture des réseaux sociaux et leur modèle économique était également au cœur d’un grand format réunissant Jean Cattan, Christine Dugoin-Clément, Sylvain Hajri et Hervé Letoqueux, dédié aux ingérences étrangères et à la guerre informationnelle. Là encore, la lutte informationnelle impose de s’interroger sur nos systèmes : plus nous avons des outils et une société qui amènent à la fracture plus nous sommes vulnérables aux stratégies de manipulations d’acteurs hostiles. Interrogeons-nous donc sur les algorithmes des plateformes, mais également - au-delà - sur le traitement de l’information par les médias. Enfin, lutter contre la désinformation en ligne passera nécessairement par des retrouvailles physiques pour nous faire confiance les uns les autres.

De nombreux échanges ont par ailleurs été l’occasion d'organiser autant de formats permettant d’ouvrir le dialogue autour de l’intelligence artificielle et de sa place dans notre quotidien. Ainsi, se projeter dans les imaginaires technologiques est un moyen de penser l'avenir des technologies que nous souhaitons ; c’était tout l’objet du café-théâtre IA organisé autour notamment de la pièce « Qui a a hacké Garoutzia ? », écrite par Serge Abiteboul, Laurence Devillers et Gilles Dowek, une tragicomédie policière qui raconte les vies successives de Garoutzia, un agent conversationnel. Un autre atelier a permis d’amorcer les bases d’un commun de la connaissance autour de l’IA pour outiller celles et ceux qui souhaiteraient monter en compétences. Articulé autour des trois piliers d’un commun - la ressource, la communauté et la gouvernance - l’atelier a permis de recueillir de nombreuses propositions pour structurer le volet pédagogique de Café IA. Chaque année, ce sont des dizaines de ressources pédagogiques sur l’intelligence artificielle qui sont mises à disposition par diverses structures et partagées au plus grand nombre et sur tout le territoire et que nous souhaitons valoriser et mettre en avant à travers Café IA. C’était l’objet du Pitch « 6 ressources (ludiques) pour s’approprier l’Intelligence artificielle » où nous avons pu découvrir devant une salle comble jeux de cartes, modèles de langage alternatifs, plateformes éducatives et autres animations. Durant ces trois jours, de nombreux échanges ont par ailleurs eu lieu autour de la démarche Café IA : des élus, des médiateurs, des enseignants ont témoigné de leur intérêt pour l’organisation ou l’animation de ces rencontres conviviales permettant de partager des clés de compréhension sur l’IA, d’en débattre dans un cadre apaisé et de construire collectivement des cadres d’usage ou de non usage des outils mis à notre disposition.

Pour en savoir plus sur Café IA et rejoindre le mouvement, c’est par ici en v0.1 mais on vous en parle la semaine prochaine.

Nous rentrons toujours de NEC avec un millier d’idées en tête et la richesse de toutes ces rencontres nous est précieuse. Merci à tous les participants et à l’équipe organisatrice de ces journées qui permettent toujours de créer du lien humain… pour parler de nos liens numériques.

Café IA, prix du mémoire, Mikrodystopies... les actualités du Conseil !

🖋️ À l’occasion des Journées européennes du patrimoine à Bercy, vous avez été nombreux à participer à un premier atelier d’écriture de Mikrodystopies ! Au total, 40 personnes se sont livrées au jeu de raconter une histoire, de se projeter dans un futur possible empreint d’IA, puis de voir leur histoire générée en image par plusieurs IA différentes. C'était alors bien souvent l'occasion d'un échange sur cette rencontre entre nos imaginaires avec des productions renvoyant bien souvent à tant d'autres choses. La collection de ces dystopies et utopies technologiques va considérablement nourrir nos réflexions et travaux. Il s’agissait de la première étape d’un projet mené en collaboration avec François Houste, dont on vous reparle plus avant très bientôt ! Pour en savoir plus, c’est par ici.

🎨 Les cafés animations continuent tous les jeudis ! Les cafés animations sont des espaces d’échanges hebdomadaires organisés chaque jeudi en ligne autour de personnes qui développent des ressources ou animent des temps d’échanges ludiques, pédagogiques et démocratiques sur notre relation à l’intelligence artificielle. Ce jeudi, nous étions réunis autour de Bertrand Formet et Guillaume Viniacourt - coordinateurs nationaux du groupe thématique « humanités numériques et éducation » chez Réseau Canopé pour échanger autour de 3 formats permettant d’alimenter votre ingénierie d’animation. Merci à eux ainsi qu'aux nombreux participants pour les riches échanges. Compte-rendu et synthèse sont à venir ! De nouveaux échanges sont prévus dès le 3 octobre :

  • Le 3 octobre avec Samuel Goëta et Loup Cellard autour du jeu de cartes « la Boîte noire de l'IA », développé par Datactivist.
  • Et le 10 octobre pour un café animation un peu spécial animé par le Conseil pour une première contribution au commun de la connaissance de Café IA. Venez avec nous échanger et nous faire vos retours sur cette version test du kit d’animation !

🗓️ Inscrivez-vous ici pour participer aux échanges. De nombreux autres sont prévus, nous vous partagerons les dates de ces espaces de dialogues très prochainement !


Plus qu’un mois pour postuler au prix du mémoire du Conseil national du numérique ! En juin dernier, nous vous annoncions ouvrir la 2e édition du prix du mémoire du Conseil, qui récompense une étudiante ou un étudiant de master 2 en sciences humaines et sociales, quelle que soit la discipline, contribuant à l’amélioration de la compréhension des enjeux numériques. Délivré par un jury composé de membres du Conseil et du secrétariat général ainsi que de personnalités extérieures, le prix comporte une dotation de 1 500 € et une valorisation des travaux de l’étudiant et de l’étudiante sous différentes formes. Étudiantes, étudiants, il ne vous reste désormais qu'un mois pour candidater et nous envoyer votre dossier avant le 31 octobre. Pour postuler, c’est par ici.


Rejoignez-nous à la 17e édition de PRODURABLE, le salon des acteurs et des solutions de l'économie durable. Rendez-vous les 9 et 10 octobre à PRODURABLE, le plus grand rendez-vous européen des acteurs et des solutions en faveur de l'économie durable, regroupant chaque année 15 000 visiteurs. Pendant ces deux jours, le Conseil y tiendra un stand où se dérouleront de nombreuses rencontres et cafés IA. On vous en dit bientôt plus sur la programmation mais nous serons présents en nombre. Gilles Babinet y prendra la parole et sera avec nous, donc avec vous, pour partager un café IA ! Pour nous y retrouver, écrivez-nous à info@cnnumerique.fr, on vous envoie les billets.

🔎 La veille du Conseil

Pour le pluralisme algorithmique ! À l’occasion de Numérique en commun[s] et au lendemain de la restitution des États généraux de l’information, une soixantaine de personnalités, d’associations, d’entreprises, françaises et internationales, appellent, dans une tribune dans Le Monde (à retrouver également sur AI forensics), à ouvrir les réseaux sociaux et à redonner le choix aux utilisateurs. Face au verrou des grandes firmes, la solution viendra de l’ouverture et de la décentralisation, à travers la mise en place de règles d’interopérabilité verticales et horizontales, de non-discrimination et de droit au paramétrage, de mesures tarifaires à l’interconnexion, de seuils environnementaux, d’obligations d’ouverture et de partage d’informations et d’exigences de design éthique et ergonomique. C’est à partir de ces conditions que nous pourrons bâtir collectivement l’architecture de nos conversations, de notre accès à l’information, à la culture, et finalement de nos démocraties.

L’intelligence artificielle peut-elle faire changer d’avis les complotistes ? C'est ce que semble indiquer une étude publiée dans la revue Science, menée par des chercheurs du MIT et de l'université Cornell. Selon cette étude, certaines personnes sensibles aux théories complotistes modifient leur point de vue lorsqu'elles sont confrontées à des arguments factuels présentés par un agent conversationnel doté d'intelligence artificielle, plutôt que par un autre être humain. L'expérience a impliqué 2 000 participants, invités à échanger avec Debunkbot, un agent conversationnel développé par une équipe scientifique et formé sur les données de ChatGPT-4. Selon l'étude, les croyances complotistes des participants ont diminué de 20 %.

Comme le rapporte Le Parisien, plusieurs facteurs pourraient expliquer ce phénomène. D'abord, la capacité des intelligences artificielles à produire rapidement des raisonnements détaillés et adaptés aux arguments de leurs interlocuteurs. Cela permettrait de neutraliser le gish gallop, une technique qui consiste à submerger l'adversaire avec une avalanche d'arguments, rendant difficile une réponse complète et patiente. Libération rappelle de son côté que les réponses apportées vise à créer du lien avec l'utilisateur. De plus, le fait que la réponse provienne d'une machine modifie les dynamiques de l'échange : les adeptes des théories du complot acceptent plus volontiers une réponse écrite et détaillée venant d'une IA, qu'ils ne peuvent interrompre ou contredire directement, contrairement à un interlocuteur humain.

De l'autre côté, l'étude pointe certaines limites, notamment la possibilité pour les complotistes de chercher à confirmer leurs croyances auprès de ces mêmes agents conversationnels. Mais ses conclusions restent optimistes. Elle suggère qu'il serait judicieux de multiplier ce type de chatbots conçus en collaboration avec des chercheurs et d'explorer davantage le potentiel de l'IA comme outil social, comme le souligne Jérôme Colombain dans Monde Numérique.

Nous pouvons néanmoins nous demander si nous n'avons pas à faire à une autre facette d'un même phénomène : une rupture de confiance et une absorption informationnelle non interprétée. Une telle étude nous alerte sur le recul critique que l'on porte face aux outils d'IA générative et sur notre incapacité à tisser un lien interpersonnel et de confiance avec la personne qui va apporter un contrepoint, parce que sa posture telle qu'avérée ou perçue rend son propos irrecevable. Prendre pour vérité une réponse donnée par une IA sans l'interpréter ne reviendrait-il pas à prendre une fausse information comme vérité ? Comme le rappelle Anne Alombert dans une note « Comment penser ChatGPT ? » (à retrouver sur notre site internet), les modèles de langage sont paramétrés pour calculer la suite de mot la plus probable, sans égard pour la signification du texte généré, ni pour sa pertinence ni pour sa vérité.

« Lors de la mise en place d’une solution IA, il est important de se demander si l’entreprise a déjà recours à l’IA, mais aussi de savoir qui a décidé sa mise en place et pourquoi, de connaître les critères de choix du logiciel, qui l’a conçu. » Comme le rappelle Mélanie Mermoz dans l’Humanité, le sujet de l’intelligence artificielle a explosé au sein des entreprises depuis le lancement de ChatGPT. Pourtant, l’IA est déjà utilisée depuis des années dans les secteurs industriels, agricoles ou encore bancaires, notamment à des fins de management algorithmique. En revanche, l’IA est encore très peu présente dans le dialogue social, alors que le code du travail prévoit pourtant que l’introduction de nouvelles technologies ou des mutations technologiques importantes doivent faire l’objet d’une consultation du CSE et non pas d’une simple information. Un dialogue qui doit se faire collectivement au sein de l’entreprise. Assurer l’effectivité d’un dialogue social ouvert à plusieurs niveaux, régulier et transparent incluant l’ensemble des parties prenantes concernées par les outils numériques, c’est également un des 10 leviers identifiés par le Conseil dans son ouvrage Travailler à l’heure du numérique. Corps et machines, mais également dans les conclusions de la feuille de route du Conseil national de la refondation numérique sur les transitions numériques au travail pour rendre les travailleurs acteurs de leur relation aux outils numériques. Pour aller plus loin sur le sujet, nous vous invitons à visionner la rediffusion de la table ronde de l’Anact : « IA : faut-il organiser un « dialogue social technologique » pour réussir la transition ? »

Dans les algorithmes dispose désormais de son site internet ! La lettre d’information Dans les algorithmes portée par l’association Vecteurs et rédigée notamment par Hubert Guillaud est désormais augmentée d’un tout nouveau site internet. Au menu ? De nombreux articles sur les enjeux sociétaux liés au développement des nouvelles technologies, et notamment de l’intelligence artificielle, ou encore un agenda de tous les événements numériques à venir en France, en Europe et dans le monde.

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🏃 En bref... Le reste de l’actualité du Conseil en 1 minute chrono !

« En matière d’innovation, les autorités de régulations remportent les guerres d'hier. » Dans L’Express, Joëlle Toledano appelle les autorités de régulation à porter leur attention sur l'intelligence artificielle, technologie qui tend à reproduire et amplifier les positions dominantes préexistantes. ✦ « L’idée de mon livre était d’ouvrir des perspectives sur les aspects positifs de l’IA, qui ne se réaliseront que si nous avons la volonté d’utiliser cette technologie pour effectuer cette transition. » Dans 20 minutes, Gilles Babinet revient sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’environnement, tant sur l’usage que sur les infrastructures. ✦ « Partout où les géants du numérique tentent d’accroître leur empreinte sur la société, nous devons démultiplier les liens sociaux qui nous unissent. » Régulation, dégroupage, médiation, Café IA… dans Le Monde, Jean Cattan appelle à la défense d’un numérique ouvert et commun, pour concilier innovation, bien être et démocratie.

👋 Avant de partir

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Comme d’habitude, n’hésitez pas à nous faire vos retours. Vous avez des questions, des remarques ou des suggestions ou vous souhaitez que nous abordions un sujet en particulier ? Nous sommes à votre écoute ! n’hésitez pas à nous écrire à info@cnnumerique.fr

Cette lettre d’information a été préparée par toute l'équipe du secrétariat général du Conseil et illustrée par Magali Jacquemet.