Table ronde - Éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Donner le pouvoir d’agir

Retour sur la table ronde avec Claire Bey, Philippe Martin, Najat Vallaud-Belkacem, ainsi que Cécile Gondard-Lalanne, Clémence Carel, Julie Loye, Astrid van de Blankevoort et Sara Vicinanza. Ensemble, nous avons échangé de la place du numérique dans l'exploration de l’intime.

En début d’année 2024, nous avons eu l’opportunité de travailler avec quatre étudiantes du certificat Egalité femmes hommes de Sciences Po : Clémence Carel, Julie Loye, Astrid Van de Blankevoort et Sara Vicinanza autour de l’éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) en ligne. Avec elles, une série d’entretiens avec des parties prenantes et trois échanges collectifs publics ont été conduits, donnant lieu à des synthèses et des retranscriptions déjà publiées en ligne et aboutissant à la publication en septembre 2024 du dossier « Éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle : donner le pouvoir d’agir ».

Lire les fiches pratiques dédiées à l’EVARS en ligne

Ce dossier s’inscrivait en cohérence et dans le prolongement de la publication en mars 2024 par le Conseil supérieur des programmes de son projet de programme d’éducation à la sexualité et de celle de l’avis du Conseil économique, social et environnemental « Éduquer à la vie affective, relationnelle et sexuelle : passer de l'obligation à l'application ! » paru en septembre 2024, auquel le Conseil a eu le plaisir de contribuer, autant que la Délégation aux droits des Femmes et à l’égalité du CESE a contribué au présent dossier du Conseil. 

Depuis, le Conseil supérieur des programmes a publié le 6 février 2025 le programme d’éducation à la vie affective et relationnelle (EVAR, dans les écoles maternelles et élémentaires), et à la sexualité (EVARS, dans les collèges et les lycées). Adapté à chaque âge des élèves, ce programme fixe désormais un cadre pour l’EVAR(S) à l’École, dont le nombre de séances doit se porter à trois par an et par groupe d’âge homogène. 

Photo de l'amphithéâtre de Sciences Po lors de la table ronde "Éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle : donner le pouvoir d’agir".

Dans ce contexte, le Conseil national du numérique et le Programme d’études sur le genre de Sciences Po ont coorganisé une table ronde le 16 avril 2024 pour approfondir le versant numérique de l’EVARS.  Lutte contre les discriminations et les violences en tous genres, respect de l’intégrité du corps mais aussi d’autrui, etc. : dans un espace informationnel en ébullition, où nous naviguons entre des contenus tantôt émancipateurs tantôt toxiques, comment le numérique peut-il permettre de renforcer l’EVARS ?

Cette table ronde était animée par Joséphine Corcoral et a réuni :

  • Claire Bey, cheffe du bureau de la santé et de l’action sociale de la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) du Ministère de l'éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche,
  • Philippe Martin, ingénieur de recherche en santé publique à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), responsable du projet de recherche participative Sexpairs,
  • Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre, co-directrice du Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques de l'École d'affaires publiques de Sciences Po.
  • Avec la participation de quatre étudiantes du Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques de l'École d'affaires publiques de Sciences Po, Clémence Carel, Julie Loye, Astrid van de Blankevoort et Sara Vicinanza,
  • et Cécile Gondard-Lalanne, rapporteuse de l’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle adopté en septembre 2024.

Photo des participants à la table ronde. De gauche à droite : Joséphine Corcoral, Claire Bey, Najat Vallaud-Belkacem et Philippe Martin.

Visionner la rediffusion de la table ronde

L’EVARS ne se limite pas à l’école

Pour introduire cette table ronde, Cécile Gondard-Lalanne a présenté le rapport du CESE « Éduquer à la vie affective, relationnelle et sexuelle : passer de l'obligation à l'application ! ». Si le rapport du CESE dépasse largement le champ numérique, elle a rappelé que l’EVARS dépasse quant à lui le seul cadre scolaire. Les individus se construisent par des processus de socialisation multiples, répartis en trois tiers : la famille, l’école et les tiers lieux. L’EVARS a lieu dans ces trois espaces et pour les tiers lieux, le numérique en recouvre la moitié. 

Elle est également revenue sur les constats clés du rapport en matière de numérique : 

  • Les familles sont préoccupées voire perdues face aux usages numériques des enfants qu’elles ne maîtrisent pas, conduisant à une forte inquiétude mais également à un manque d’accompagnement ; 
  • Le numérique est un outil riche d’EVARS entre pairs, mais ce sont surtout les femmes qui partagent des informations à ce sujet ; 
  • La régulation est insuffisante, notamment en matière d’exposition des mineurs à la pornographie. 

Elle a conclu sur la nécessité de promouvoir des créateurs et créatrices de contenus d’EVARS en ligne fiables, en particulier pour contrer les attaques numériques réactionnaires et masculinistes qui se multiplient. 

EVARS et éducation au numérique s’enrichissent mutuellement

Clémence Carel, Julie Loye, Astrid van de Blankevoort et Sara Vicinanza – étudiantes du Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques de l'École d'affaires publiques de Sciences Po avec lesquelles le Conseil a travaillé sur l’année scolaire 2023-2024 – ont ensuite présenté le fruit de notre collaboration. À l’issue des entretiens et échanges collectifs en ligne conduits, plusieurs préconisations ont été formulées : 

  • Le numérique doit être pensé comme un outil d’EVARS mais aussi comme un objet d’enseignement en soi ; 
  • Il faut renforcer la collaboration entre institutions publiques, acteurs citoyens et société civile ; 
  • Faire évoluer les espaces en ligne et la régulation des réseaux sociaux pour conférer aux individus les moyens d’être acteurs de leur EVARS en ligne.

A destination spécifiquement de la communauté éducative, les étudiantes recommandent de : 

  • Adopter une approche interdisciplinaire de l’EVARS et une approche pédagogique horizontale ; 
  • Centraliser les ressources numériques relatives à l’EVARS à la disposition des équipes pédagogiques ; 
  • Établir un référentiel de compétences pour évaluer l’appréhension de ces sujets par les élèves et assurer un suivi longitudinal au fil des années ; 
  • Placer l’EVARS et les outils numériques au cœur d’un dialogue ouvert et convivial avec les élèves et leurs parents. 

EVARS, de quoi parle-t-on ? 

La table ronde s’est ouverte sur un tour de table pour poser le cadre et définir l’EVARS

« Pour moi, l’éducation à la sexualité, c’est une éducation aux relations […] : améliorer les relations à soi et les relations aux autres. » Claire Bey

« On veut grâce à cet EVARS des jeunes qui soient à la fois informés, qui apprennent l’estime personnelle et le respect de l’autre et qui soient accompagnés le jour où ils en ont besoin. » Najat Vallaud-Belkacem

« L’EVARS peut également concerner les moins jeunes, c’est important de le rappeler. » Philippe Martin

Claire Bey a ensuite présenté le programme d’EVAR(S) publié en 2025 par le ministère de l’Education nationale qui s’articule autour de trois axes : 

  • Mieux se connaître, connaître et grandir avec son corps ; 
  • Rencontrer les autres, construire des relations et s’y épanouir ; 
  • Trouver sa place dans la société et être libre et responsable.

Quelle place pour le numérique dans l’EVARS ?

En quoi les outils numériques offrent-ils des supports d’EVARS complémentaires aux apprentissages familiaux et scolaires ? Quelle est la place des contenus positifs d’EVARS en ligne sur les réseaux sociaux ? Comment ces outils s’intègrent-ils dans le programme d’EVARS de l’Éducation nationale ? Comment accompagner les équipes pédagogiques sur ce volet de l’EVARS ? Autant de questions que nous avons abordées avec les trois intervenants. 

Pour Philippe Martin, le numérique offre une opportunité de se renseigner et d’explorer des sujets plus complexes et intimes à aborder en classe ou en famille. Il a également présenté le projet de recherche participative et d’action Sexpairs, une initiative visant à accompagner, par le numérique, les professionnels de l’éducation, de la santé et du social en matière de santé sexuelle des jeunes, mais également les jeunes eux-mêmes en s’adaptant à la diversité de ces cibles : 

« Il y avait un besoin de passer au-delà de la simple réception d’information, mais d’être aussi acteur de sa propre éducation. Pour cela, le numérique pouvait avoir un potentiel dans les fonctionnalités participatives, interactives, mais aussi personnalisées. » Philippe Martin

Toutefois, Philippe Martin a également tenu à rappeler que ces usages dépendent aussi de la littéracie numérique des utilisateurs et utilisatrices, créant une asymétrie entre celles et ceux qui savent utiliser ces services pour trouver des contenus positifs d’EVARS et celles et ceux qui n’ont pas cette capacité. 

Claire Bey a quant à elle précisé les versants numériques du programme d’EVAR(S) de l’Éducation nationale : des ressources et guides sont mis à disposition en ligne intégrant des éléments et fiches relatives à l’EVAR(S) en ligne comme la cyberviolence, le harcèlement… L’EVAR(S) en classe est également mise en lien avec des séances d’éducation aux médias et à l’information (EMI) : l’éducation par le numérique impose une éducation au numérique, afin de faire face aux contenus toxiques, à la désinformation etc. 

Najat Vallaud-Belkacem a tenu à saluer les travaux menés au sein de l’Éducation nationale et des établissements, notamment via ce nouveau programme qui vient répondre à un réel besoin pour les jeunes, mais aussi les moins jeunes. Elle a aussi insisté sur la nécessité pour les établissements de travailler de concert avec les associations et la société civile qui ont l’habitude du contact de ces publics, sont spécialisées de ces questions et – par leur posture extérieure – nouent souvent un rapport de plus grande confiance avec les élèves. En ce qui concerne les plateformes numériques, elle a souligné le rôle majeur des algorithmes de recommandation dans la visibilité des contenus toxiques et l’invisibilisation des contenus positifs d’EVARS : 

« Nous sommes face à des plateformes numériques qui ne jouent pas le jeu de l’éducation populaire […] et qui donnent la primauté au sensationnel et au violent. Il y a une inégalité de mise en avant et de viralité pour les contenus. » Najat Vallaud-Balkacem

Faire face aux réticences et à la désinformation

La sortie du programme de l’Éducation nationale s’est accompagnée de mouvements contestataires, mobilisés notamment en ligne, partageant des contenus parfois trompeurs voire erronés ou propageant de la désinformation. Ce phénomène est loin d’être nouveau et se réactive au fil des réformes et évolutions en matière d’EVARS en classe. Mais les réticences ont aussi lieu hors de l’école, notamment du côté des familles. Alors, comment désamorcer ces craintes ? Et comment lutter contre la désinformation en ligne ? 

Claire Bey est revenue sur les attaques qui ont visé le programme de l’Éducation nationale et qui se sont notamment exprimées sur les réseaux sociaux, avec des contenus réactionnaires, trompeurs voire désinformationnels. 

« Nous avons contre-attaqué sur leur terrain […] par des capsules, beaucoup de publications. […] L’espace numérique il y a encore quelques mois de cela était vraiment saturé de cette désinformation […] et nous avons réussi désormais à faire dominer notre discours. Nous avons aussi intégré ce sujet à nos séminaires de formation et outillé les enseignants avec une foire aux questions pour qu’ils puissent répondre point par point et fonder leurs réponses sur le droit. […] Nous avons également créé une page grand public dédiée sur Education.gouv.fr pour présenter le programme. » Claire Bey

Elle a souhaité rappeler et souligner que, malgré ces résistances, le programme a été adopté – de façon remarquable – sans aucune voix contre et qu’ils ont pu compter sur le soutien et l’appui de l’ensemble de leurs partenaires y compris hors de l’Éducation nationale. 

Philippe Martin a insisté sur la nécessité de former également les parents à l’EVARS et à son importance. Il a présenté un projet mené avec la Maison de Solenn  trompeurs voire erronés ou propageant de la désinformation pour produire des guides et supports à destination des professionnels de l’éducation, de la santé et du social pour répondre à ces réticences.


Forte de son expérience avec les ABCD de l’égalité, Najat Vallaud-Belkacem est revenue sur la façon dont elle perçoit ces mouvements contestataires : 

« J’ai l’impression que ce qui est en jeu à chaque fois c’est au moins trois choses. La première c’est une opposition à ce que certains voient comme la fluidité des genres. […] Aujourd’hui elle est toujours présente, c’est ce que certains appellent le ‘wokisme’. Il y a un deuxième sujet qui est celui de l’égalité femmes-hommes tout simplement. […] Le troisième sujet c’est qu’il y a un nombre grandissant de personnes remontées contre les institutions, le politique, les médias, etc. – un peu comme QAnon aux États-Unis qui finissent toujours par porter une accusation sur ce qu’on fait aux enfants, un peu comme s’il y avait là LE sujet le plus susceptible de mobiliser la grande masse tellement c’est insupportable. » Najat Vallaud-Belkacem

Pour elle, il est important de ne pas attendre d’avoir à débunker l’information : les pouvoirs publics doivent fournir une information transparente et adopter un mode de conduite des politiques publics qui associent beaucoup plus la société civile et les citoyens. 

Visionner la rediffusion de la table ronde

Un très grand merci à Claire Bey, Philippe Martin, Najat Vallaud-Belkacem, Cécile Gondard-Lalanne, Clémence Carel, Julie Loye, Astrid van de Blankevoort et Sara Vicinanza pour leur participation à cette table ronde, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui nous ont rejoint pour cet échange.

Événement