La Bataille de l’IA, un format ludique pour éveiller un sens critique sur l’IA

Comment mettre en place un format ludique pour sensibiliser un large public aux enjeux liés à l’IA ? C’est l'objectif de la Bataille de l’IA, un jeu de cartes collaboratif conçu par les associations Latitudes et Data for Good. Nous en parlons avec Margaux Levisalles et Valentin Hacault.

Fondée en 2017, l’association Latitudes agit pour créer une technologie plus engagée et responsable autour des enjeux de sobriété numérique, de citoyenneté, d’engagement citoyen, d’accessibilité, de santé physique et mentale et de diversité. Elle travaille avec de nombreux acteurs (collèges, lycées, écoles, universités, entreprises, administrations) en leur proposant à la fois des moments de sensibilisation aux impacts du numérique et des moyens de mobilisation de leurs publics sur des projets qui mêlent numérique et thématiques sociales ou environnementales. Parmi ses nombreuses activités, l’association propose 3 formats ludiques construits sous forme de jeu de cartes pour faire découvrir et débattre des enjeux sociaux et environnementaux des nouvelles technologies : Future of Tech, la Bataille de la Tech, et depuis juillet 2023, la Bataille de l’IA, coconstruite avec l’association Data for Good et conçue comme un atelier collaboratif pour développer son esprit critique sur les IA génératives. À travers les Batailles, Latitudes entend toucher 15 000 personnes d’ici à fin 2024. Pour en parler, nous avons rencontré Margaux Levisalles, cofondatrice de Latitudes et responsable partenariats et développement et Valentin Hacault, chef de projet formation et animation.

Comment se structure une Bataille de l’IA ?

Valentin Hacault, chef de projet formation et animation :
Une Bataille de l’IA dure deux heures et se divise en trois temps forts :

  • Une première phase pour découvrir les dates clés du développement de l'intelligence artificielle, où les participants sont invités à replacer les grands jalons historiques de l’IA autour d'une frise temporelle.
  • Une deuxième phase pour débattre des grands enjeux sociétaux des IA génératives. Les participants sont invités à former des groupes de quatre à cinq personnes pour discuter autour de cinq thématiques liées au développement de l’IA : fiabilité de l’information, société et données personnelles, créativité et propriété intellectuelle, biais algorithmiques et impact environnemental. Pour les guider, ils disposent de plusieurs cartes pédagogiques donnant des clés de compréhension sur les divers sujets. Toutes ces données sont issues du livre blanc “les grands défis de l’IA générative” de Data For Good, qui est le fruit d’un travail collectif mené par des dizaines d’experts de la data et de l’IA, ainsi que des bénévoles de l’association issus de la société civile.
  • Enfin, tous les participants sont invités à participer à des scénarios prospectifs autour du développement des IA génératives, au niveau sociétal comme au sein de leur structure.

L’objectif que nous nous sommes fixés en sortant la Bataille de l’IA en juillet 2023 est de sensibiliser le plus grand nombre de personnes aux enjeux liés à cette technologie. Le format est accessible à tout type de public, du scolaire au milieu de l’entreprise en passant par la fonction publique. En plus d’adapter le prix de l’animation d’un atelier en fonction des publics, nous faisons en sorte que la Bataille de l’IA soit accessible et diffusable gratuitement à toutes les personnes qui souhaitent se former à l’animation d’un atelier. Un autre objectif que nous nous fixons est que l’atelier reste d’actualité alors que les perspectives offertes par l’intelligence artificielle évoluent vite. Nous allons donc mettre à jour la Bataille de l’IA chaque année ; la première mise à jour est prévue pour l’été 2024 avec tous nos animateurs.

Comment adaptez-vous vos ateliers en fonction du type de participant ?

Valentin Hacault :
La Bataille de l’IA est un format unique pour sensibiliser un large public. Nous avons voulu faire en sorte que chaque atelier soit adapté au plus grand nombre de personnes : des citoyens ayant un regard novice sur les technologies aux spécialistes concernés par le développement de ces technologies. Les différentes parties de l’atelier ne sont ainsi pas forcément aussi importantes pour chaque public. Pour un public jeune qui découvre le sujet, la première partie sur la frise chronologique est souvent perçue comme le plus intéressante, à travers la découverte d’événements comme le premier prototype de véhicule autonome en 1977 ou le scandale Cambridge Analytica. Pour les entreprises, c’est plutôt la compréhension des enjeux et les scénarios prospectifs qui priment. Nous avons beaucoup de demandes de leur part pour personnaliser nos interventions en précisant des cas d’usages adaptés aux problématiques métiers de chaque organisation. Il peut donc s’agir de scénarios relatifs à l’évolution du rôle des RH (recrutement et gestion de la montée en compétence), des équipes communication ou des équipes opérationnelles.

Nous conseillons aussi de mélanger les profils de participants : l’animateur peut s’appuyer sur une personne plus experte du sujet pour consacrer plus de temps aux néophytes et favoriser l’échange. Cette notion de transmission et d’adaptation est très importante dans la formation de nos animateurs.

Margaux Levisalles, cofondatrice de Latitudes, responsable partenariats et développement :
La Bataille de l’IA n’est pas un atelier descendant, notre objectif principal est l’éveil d’un sens critique individuel et collectif. Chaque participant vient avec ses propres questionnements, il n’y a pas besoin d’un niveau minimum de connaissance sur le fonctionnement et les impacts des IA pour pouvoir participer. C’est un élément clé de notre dispositif pour éviter de créer une trop forte segmentation.

Comment vos animateurs sont-ils formés ?

Valentin Hacault :
La formation de nos animateurs dure un mois. Les deux premières semaines sont centrées sur l’appréhension du contenu théorique autour de la compréhension des enjeux sociétaux et environnementaux des intelligences artificielles. À la fin de cette première session, un défi est proposé aux animateurs pour les inciter à se questionner et à penser des initiatives vertueuses et critiques des technologies. Les deux dernières semaines de formation sont consacrées à l'appréhension de l’atelier en tant que tel. Une session blanche obligatoire est organisée et chaque animateur est ensuite validé par les membres de l’association.

Margaux Levisalles :
Trois fois par an, nous mettons en place ces sessions de mise en situation dans lesquelles les animateurs s’entraînent et chacun peut y remonter des bonnes pratiques. Autant de temps de mise en pratique concrets qui visent à placer les animateurs en posture de facilitateur plus que de “sachant”. Sur les Batailles, nous avons 317 animateurs (223 de la Bataille de la Tech et 94 de la Bataille de l'IA). Nous formons environ 150 animateurs et animatrices par an sur la Bataille de l'IA.

Sur l’aspect proprement pédagogique, tous les animateurs qui passent le parcours de formation doivent tester divers outils d’IA, pour comprendre pourquoi certains usages peuvent être problématiques et quelles pistes d’évolutions peuvent être développées.

Nous n’avons pas de logique de sélection sur les compétences mais plus sur les motivations. En fonction des types de participants, nous pouvons procéder à une sélection d’animateurs plus adaptés à un public spécifique, par exemple scolaire ou d’entreprise. Aujourd’hui, la plupart de nos animateurs sont soit des citoyens déjà très intéressés et motivés, soit des acteurs qui travaillent dans le domaine et ont déjà un regard critique.

Comment faites-vous remonter de l’information suite aux ateliers ?

Margaux Levisalles :
Les retours sont globalement très positifs de la part des participants. 91% déclarent après un atelier avoir une meilleure compréhension des enjeux environnementaux du numérique et beaucoup souhaitent continuer à s’engager sur le sujet. Ce qui est plébiscité, c’est l’aspect collaboratif de l’atelier, même si, en ce qui concerne nos participants issus du milieu de l’entreprise, une frustration demeure liée à l’impossibilité d’un passage à l’action pour mettre en place des choses rapidement au sein de leur entreprise. C’est pour cela que nous allons procéder à une amélioration de l'atelier cet été, en complément de la mise à jour du contenu.

Valentin Hacault :
Après chaque atelier, nous proposons aux participantes et participants de répondre à un questionnaire. Nous venons notamment mesurer la progression des participants et participantes sur 4 axes : la compréhension des impacts sociaux et environnementaux du numérique ; l'envie de s’engager pour des causes qui leur tiennent à cœur ; la connaissance des moyens d'action disponibles à leur échelle et leur capacité à mobiliser autour d'eux sur ces sujets. Cette mesure d’impact nous permet de venir rectifier le tir, de partager auprès des commanditaires d’éventuels retours et de montrer l'intérêt du dispositif. Nous disposons de canaux internes via lesquels les animateurs peuvent faire part de leurs retours et de leurs idées d’amélioration. Cela permet de valoriser l’engagement et d’avoir de la reconnaissance de la part des autres animateurs. Dès qu’un animateur ne connaît pas la réponse à une question, nous invitons à renvoyer vers le livre blanc de Data For Good et à des sources permettant d’y répondre. Il faut que la personne qui anime se sente le plus à l’aise.


Plus d’informations sur latitudes et la Bataille de l’IA : https://www.batailledelia.org/

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