Communiqué de presse - Travailler à l'heure du numérique. Corps et machines
TRAVAILLER À L'HEURE DU NUMÉRIQUE.
CORPS ET MACHINES
Le Conseil national du numérique identifie 10 leviers pour rendre les travailleurs acteurs de leur relation au numérique.
Paris, le 6 décembre 2022 - Plus qu’il ne disparaît, le travail se métamorphose au fil de l’évolution des technologies interrogeant sans cesse la coexistence des humains et des machines dans l’environnement professionnel. Des robots aux exosquelettes, du télétravail à la réalité virtuelle, la place de la machine au travail véhicule autant de réalités que de projections, entre libération et aliénation des travailleurs. Dans un dossier porté par Justine Cassell, Olga Kokshagina, Dominique Pasquier et Eric Salobir, le Conseil national du numérique analyse comment nos corps interagissent avec les outils numériques dans l’environnement professionnel et comment nous collaborons dans ce contexte. Le Conseil encourage à un plus intense et plus large dialogue, à accorder plus de protection et de choix aux travailleurs et à nourrir les rapports professionnels d'un regain de confiance plutôt que de surveillance.
De la révolution industrielle à la révolution numérique, une approche au plus près de la variété des situations des travailleurs
Du télétravail à l’usine, de l’ouvrier au cadre, le travail n’est pas une réalité uniforme, véhiculant ainsi des ressentis, des perceptions et des capacités d’appréhension très différentes de l’usage du numérique au travail. Afin de rendre compte de la variété des situations de travail en fonction des catégories socio-professionnelles et des filières concernées, le Conseil national du numérique propose une analyse plurielle examinant les relations directes entre humains et machines, et celles où les corps sont médiés (comme en visioconférence), représentés (comme dans le métavers) ou associés à la machine (comme avec des exosquelettes).
Le travail humain se transforme, nous invitant à adopter de nouveaux modes d’interactions, avec des conséquences positives et négatives pour les humains, les modes d’interactions et les organisations, toujours déterminantes pour nos relations sociales. Notamment car ces interactions entre humains et machines prolongent celles que nous nouons entre pairs et dans lesquelles le corps et le langage nonverbal jouent un rôle central. S'ils sont presque tous touchés par le numérique, les travailleurs font pour autant face à des enjeux différents en fonction de leurs situations. Ils ne partagent pas non plus la même capacité à agir sur la technologie, à la comprendre, à se l’approprier, à la contourner parfois. Les robots comme le télétravail floutent les lignes entre les humains et les machines, entre l’individu et le collectif. Les outils numériques, omniprésents, ouvrent des opportunités d’efficacité autant qu’ils désorganisent et suscitent du rejet, notamment car ils perturbent les dimensions individuelles, sociales et le sens que l'on donne au travail. Ils mettent alors à l’épreuve les corps et les façons de travailler autant qu’ils transforment nos interactions sociales au travail.
Accélérée par la pandémie, la révolution numérique a désormais fait pleinement entrer le numérique dans les bureaux et fait entrer plus encore le travail dans les foyers. Elle interroge également la confiance dans l’organisation au sein d’un environnement numérisé, le choix des travailleurs, tout en accroissant le spectre de la surveillance ainsi que l’écart entre la conception et l’usage effectif des outils. Comment les corps productifs sont aujourd’hui confrontés aux outils numériques et collaborent avec eux ? Comment accroître le pouvoir d’action de l’ensemble des travailleurs face à ces outils ?
10 leviers pour rendre les travailleurs acteurs de leur relation aux outils numériques
Le Conseil national du numérique identifie 10 leviers pour rendre les travailleurs acteurs de leur relation aux outils numériques aussi bien dans la conception de ces outils que dans l’exercice de leur activité ainsi qu'en consolidant les droits des travailleurs.
Alors qu’il existe souvent un décalage important entre les intentions présidant à la conception des outils et leurs usages effectifs, il est nécessaire d’anticiper leurs effets avec des dispositifs pour
1. Impliquer les travailleurs concernés le plus en amont possible dans la conception et le déploiement de leurs outils ;
2. Former l’ensemble des parties prenantes (travailleurs, managers, partenaires sociaux, médecins du travail…) à leur usage ;
3. Réaliser une étude d’impact préalable à leur déploiement, intégrant notamment leurs effets potentiels sur le travail mais également sur les interactions au sein des équipes et les dynamiques collectives.
Il s’agit ensuite d'encourager à l'accompagnement des collaborateurs grâce à un processus continu d’évaluation, d’amélioration des échanges autour de ces outils et des modes de travail qu’ils engendrent pour :
4. Mettre en place un dispositif de remontée continue d’informations sur la façon dont les travailleurs vivent leur relation aux outils numériques ;
5. Accompagner le déploiement d’un travail hybride, entre télétravail et présentiel, qui ne soit pas subi mais source d’opportunités et d’accroissement de la qualité de vie au travail et dans la vie personnelle ;
6. Assurer l’effectivité d’un dialogue social ouvert à plusieurs niveaux, régulier et transparent incluant l’ensemble des parties prenantes concernées par les outils numériques ;
7. Faire du numérique au travail un pilier de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
Si les droits et libertés numériques jouissent d’un cadre légal et réglementaire riche et en construction, leurs applications dans le contexte du travail doivent être consolidées, notamment en matière de surveillance numérique au travail. Il s’agirait de :
8. Rendre la régulation sur les outils numériques de travail efficace et effective, en clarifiant les dispositions préexistantes en matière de droits et libertés numériques applicables dans un contexte de travail, en les renforçant et en assurant que ceux qui utilisent les outils soient impliqués dans la conception et la mise en œuvre de la régulation ;
9. Accroître la vigilance et l’effectivité des droits des travailleurs en matière de surveillance au travail. Il est indispensable de renforcer l’information des travailleurs quant à leurs droits et aux voies de recours qui se présentent à eux en cas de manquement. Cette formation doit aussi viser les représentant des travailleurs pour assurer au mieux leur mission de vigie et de conseil;
10. Encourager et approfondir la recherche sur les outils numériques de travail et leurs apports et impacts sur les travailleurs.
Ils en parlent
Justine Cassell, spécialiste en interaction humain-machine et membre copilote :
Le corps est le premier contact avec les autres et le langage non-verbal est essentiel dans nos interactions entre humains, au travail comme dans la vie privée. A travers cette analyse de nos interactions médiées, associées ou représentées par la machine, il s’agit de comprendre quelles sont les connaissances dont nous disposons pour assurer une coexistence qui soit pertinente. Savoir si les technologies sont humaines est moins important que de savoir comment elles nous permettent de conserver notre humanité. L’objectif étant que l’humain garde toujours l’ascendant sur la machine.
Olga Kokshagina, chercheure et membre copilote :
La pandémie a largement accéléré les mutations et de nouveaux enjeux ont émergé pour les cadres, de leur rapport au corps à leurs interactions médiées par les outils numériques. Disposer d’une agentivité forte au travail ne signifie pas que les technologies numériques n’ont pas d’impact sur le travailleur, son psychique et les liens sociaux. De la conception des outils à leur mise en place, les travailleurs ont plus que jamais besoin d’accompagnement et le rôle des managers est clé. Ce qui implique en parallèle de donner les moyens à la recherche d’étudier et d’anticiper ces transitions.
Dominique Pasquier, sociologue et membre copilote :
Toutes les catégories de travailleurs ne sont pas confrontés de la même manière aux outils numériques et leur agentivité est loin d’être la même. Dans ce dossier, nous avons voulu interroger aussi bien les ouvriers, qui n’ont ni télétravail ni souvent de pouvoir individuel de négociation que les cadres intermédiaires. Tous en revanche sont confrontés à un enjeu d’utilisation du numérique comme outil de surveillance de la personne. Cela nécessite d’être analysé d’une part et discuté collectivement de l’autre.
Eric Salobir, président de la Human Technology Foundation et membre copilote :
Les technologies d’augmentation soulèvent des enjeux éthiques. Pour éviter que les dispositifs initialement destinés à aider et à soulager les collaborateurs dans leur travail ne deviennent l’instrument d’une quête déraisonnable de productivité, il est nécessaire de protéger leurs utilisateurs. Un développement du dialogue social et un renforcement de la réglementation apparaissent nécessaires. Exosquelettes et présence au travail sous forme d’avatar semblent encore peu répandus, mais représentent déjà de vrais enjeux politiques.
Contact presse :
Agathe Bougon - agathe.bougon@cnnumerique.fr - 06 14 87 41 66