NEC 2023 - Imaginons collectivement d’autres réseaux sociaux

Retour sur l'atelier co-organisé avec les Designers Ethiques lors de Numérique en Commun[s] 2023 autour de l'économie de l'attention et du design persuasif.

Dans le cadre de notre partenariat avec l’édition nationale 2023 de Numérique en Commun[s], nous avons organisé avec le collectif des Designers Éthiques(1) un atelier autour du design attentionnel des réseaux sociaux intitulé “Réinventons ensemble un (autre) réseau social pour préserver notre attention”. L'atelier a rencontré un franc succès, signe de l’intérêt et de la nécessité d’organiser de tels formats pédagogiques et participatifs autour de ces sujets.

Cet atelier s’est déroulé en 4 temps :

  • Présentation et définition des enjeux, rappel du cadre législatif et réglementaire en cours d’évolution ;
  • Identification de mécanismes de captation et dark patterns sur les réseaux sociaux parmi les plus utilisés et connus des participants et participantes ;
  • Prototypage de réseaux sociaux alternatifs ;
  • Conclusion, partage de ressources et d’alternatives aux plateformes dominantes n’étant pas basées sur le design attentionnel.

Découvrir le support de l'atelier

 

NEC 2023 - photo prise depuis le public d'un participant intervenant dans le cadre de l'atelier sur l'économie de l'attention

Définition des enjeux et règles du jeu

La première phase de l’atelier était dédiée à la compréhension des enjeux de l’économie de l’attention et des designs trompeurs : qu’est-ce que l’économie de l’attention ? Quelle différence entre les nudges et les dark patterns ? Qu’est-ce que la captologie ?

Nous sommes également revenus sur les l’entrée en vigueur des règlements européens sur les services et les marchés numériques et les obligations que ces textes posent désormais en matière de régulation des plateformes numériques :

  • Lutte contre les risques systémiques des plateformes
  • Transparence des systèmes de recommandation
  • Obligation de proposer un système de recommandation non basé sur le profilage
  • Interdiction de la publicité fondée sur le profilage pour les mineurs
  • Interdiction des interfaces trompeuses
  • Interopérabilité des applications de messagerie

Dans un second temps, des équipes ont été constituées pour identifier ces mécanismes attentionnels dans des interfaces bien connues des participants : LinkedIn, Le Bon Coin, YouTube, Tik Tok et Instagram. Fil d’actualité algorithmique par défaut, notifications activées par défaut, lancement automatique des vidéos lors du défilement, messages privés sponsorisés, réactions diverses au-delà du like, incitation aux abonnements prémium… Les mécanismes sont nombreux et ont été bien identifiés par les participants et participantes à l’atelier.

Quel réseau social idéal ?

Lors de la phase de prototypage, 3 types d’équipes ont été constituées :

  1. Certaines équipes étaient chargées de prototyper leur réseau social “idéal”, responsable, durable et protecteur de nos attentions ;
  2. Certaines équipes étaient chargée de prototyper un réseau social conforme aux nouvelles dispositions européennes ;
  3. Certaines équipes étaient chargées de prototyper des réseaux sociaux encore plus accrocheurs.

Ce prototypage pouvait se faire sur une plateforme au choix parmi Instagram, Tik Tok et LinkedIn.

Les propositions des équipes ayant prototypé leur réseau social idéal ont été nombreuses. Pour les plateformes Tik Tok et Instagram (partie Reels), il a été proposé de désincruster le contenu pour qu’il ne s’affiche plus en plein écran, de passer l’interface en noir et blanc la nuit, de supprimer l’autoplay des vidéos lors du défilement, de retirer les chiffres sur les likes, commentaires, partages, etc. voire de supprimer les likes mais de conserver les commentaires et le partage pour revenir à l'essence des réseaux sociaux : le partage au sein d’une communauté. Pour la plateforme LinkedIn, les équipes ont par exemple proposé de retirer les réactions (j’aime, bravo, instructif…) au profit d’une qualification de l’information (sur le modèle des community notes sur X /Twitter) pour tendre vers une cartographie des controverses collaborative : que dit le contenu, en quoi est-ce potentiellement controversé, quelles sources complémentaires…

Pour aller plus loin : Où débattre en ligne ? Une tribune de Jean Cattan dans Ouest France, septembre 2023

À l’inverse, les équipes chargées d’imaginer des réseaux sociaux encore plus accrocheurs ont montré que les plateformes peuvent potentiellement aller encore plus loin, sans être forcément contraires aux réglementations européennes. Il a par exemple été proposé d’ajouter la fonctionnalité permettant d’accélérer la vitesse des vidéos sur les plateformes TikTok et Instagram, d’apposer des messages “vous n’êtes pas à jour” à l’ouverture de l’application ainsi qu’une jauge indiquant combien de fois l'utilisateur a été à jour cette semaine (sur le modèle des “flammes” de Snapchat) ou encore d’envoyer une notification dès lors qu’une personne tape un message à l’intention d’un utilisateur sans qu’il ne soit encore envoyé.

L’équipe ayant choisi de prototyper un réseau social conforme au DSA s’est concentrée sur la plateforme Instagram. Au programme : rendre plus transparents les algorithmes de recommandation en ajoutant une fonctionnalité “pourquoi vois-je ce contenu ?”, rendre plus visibles et plus accessibles les fonctionnalités de signalement des contenus, ajouter des community notes comme sur X, supprimer les interfaces trompeuses, anticiper la détection de contenus générés par l’IA, retirer la publicité ciblée pour les mineurs et adapter les contenus en fonction de l’âge des utilisateurs.

Autant d'idées et discussions qui convergent vers un constat partagé : si les règlements européens constituent une première étape nécessaire, l’interprétation de ces textes par la Commission européenne sera cruciale dans leur portée. La résolution du Parlement européen votée en commission le 27 octobre 2023 visant à agir sur les interfaces addictives de certaines grandes plateformes en atteste. Dans ce texte, le Parlement européen insiste sur la nécessité, inscrite dans le règlement européen, d'examiner si les interfaces des plateformes sont un facteur de propagation des risques systémiques dont les très grandes plateformes peuvent être porteuses ; et le cas échéant, d'aller jusqu'à imposer des mesures correctives sur les interfaces elles-mêmes. Il encourage ainsi la Commission européenne à prendre en compte cette dimension du problème, ce à quoi le Conseil appelait dès la publication de son rapport sur l'économie de l'attention en début d'année 2022.

« L’atelier a montré à quel point les communautés sont montées en compétences sur ces thématiques. Les enjeux généraux de ces sujets sont de mieux en mieux perçus, et les questionnements des participants à l'atelier montraient une expertise plaisante à voir et à discuter. C'est une très bonne nouvelle ! »
- Karl Pineau et Aurélie Baton, co-président et membre active des Designers Éthiques.

Et après ?

Comment aller plus loin ? Entre autres axes, le Conseil soutient et explore deux idées fortes :

  • La consécration d’un droit au paramétrage ;
  • Le dégroupage des réseaux sociaux pour autoriser la création de fonctionnalités développées par d'autres.

À l’issue de cet atelier, un guide résumant les enjeux, les alternatives et les évolutions juridiques a été distribué à l’ensemble des participants. Il est une invitation à aller plus loin pour faire des réseaux sociaux des objets d'appropriation collective. À l'heure du passage au payant de nombreux réseaux et de la mise en œuvre du DSA et du DMA, la réflexion collective et les propositions qui en émanent sont nécessaires.

Découvrir le livret

Un très grand merci à l’ensemble des participants et participantes à l’atelier pour la richesse de nos échanges et le partage d’idées, ainsi qu’aux Designers Éthiques pour cette collaboration fructueuse.

Si vous souhaitez organiser un atelier sur ce format, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse debat@cnnumerique.fr !

 

(1) Designers Éthiques est une structure de recherche-action sur le numérique et les pratiques de design. En tant qu’association, elle explore les pratiques de conception numérique et travaille à la capacitation des designers et des professionnels du numérique pour produire un numérique émancipateur, durable et désirable. Designers Éthiques a 4 grands champs d’action : mener une recherche en produisant des éléments inédits de connaissance autour des enjeux de la responsabilité numérique ; alimenter des communautés en proposant des réflexions ou des contenus propres à enrichir les travaux de communautés de designers ; former à la conception responsable en développant les compétences et la posture des designers ; et développer des projets en illustrant les choix possibles en termes de responsabilité pour les designers.

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