Depuis un an, le ministère des Armées organise ses Cafés IA
Au sein du Secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées, Valérie Plier et Alix Mansueto organisent des Cafés IA depuis près d’un an pour sensibiliser des agents publics et des publics scolaires à l’intelligence artificielle. Retour d’expérience en 4 questions.
Valérie Plier est la fondatrice du laboratoire big data et intelligence artificielle au sein de la Délégation à la transformation et à la performance ministérielles (DTPM) et la co-fondatrice du programme « Numérique : des métiers pour toutes ». Elle est également directrice de projet Innovation au sein du Secrétariat général pour l’administration au ministère des Armées. Alix Mansueto est cheffe de projet Intelligence Artificielle au sein du centre d’expertise pour l’IA de la DPTM.
Quelle est la genèse des Cafés IA que vous organisez ?
Nos Cafés IA s’inscrivent dans le sillage du laboratoire big data et intelligence artificielle, devenu le centre d’expertise pour l’IA au sein du ministère. Nous avons commencé à trois dans une ancienne écurie de l’École militaire, avec l’objectif de faire de valoriser les données autrement grâce à de nouveaux outils et promouvoir l’innovation frugale. Par la suite, nous avons obtenu des moyens pour développer l’infrastructure et construire notre réseau. Cela s’est révélé d’autant plus important qu’au ministère des Armées une attention particulière est portée aux nouvelles technologies. En décembre 2023, le ministre Sébastien Lecornu a lancé une stratégie ministérielle sur l’IA avec notamment la création de l’Agence ministérielle pour l’IA de défense (AMIAD) pour qui « l’IA . Aujourd’hui, le sujet de l’IA est de plus en plus prégnant, bien que largement pris en main par le ministère des Armées, la question de la formation de la population à cette technologie semble à son tour nécessaire.
Le laboratoire est peu à peu devenu un espace de rencontres et d’échanges sur l’IA et le big data. Nous souhaitions tirer parti de l’ensemble de ces expertises afin d’en faire profiter le plus grand nombre. En septembre 2023, nous avons donc lancé notre premier Café IA. Pour cela, nous nous sommes inspirés des “cafés de la data” organisés par Justine Spérandio–Martinez, chargée de projet innovation numérique et open data au sein de la préfecture Auvergne-Rhône-Alpes, avec qui nous avons échangé. Notre ambition était de réaliser un Café IA par mois, sur des thématiques diverses et en faisant appel à des intervenants experts et internes au ministère des Armées, puis de la communauté interministérielle.
Comment organisez-vous ces Cafés IA ?
À ce jour, nous avons organisé une dizaine de Cafés IA à destination d’agents publics du ministère des Armées, sur des thématiques aussi variées que les grands modèles de langage, l’analyse typologique des données ou encore l’apprentissage par renforcement. Ces sessions se déroulent en format hybride, avec une vingtaine de participants présents sur place et une cinquantaine connectés en ligne. Nous offrons des viennoiseries et du café : la convivialité est primordiale pour que les participants se sentent à l’aise et posent des questions. Ces temps d’échange permettent de faire émerger et d’aborder les craintes de certains agents, qui redoutent de voir leur vie professionnelle bouleversée par cette technologie. L’accueil de ces craintes et l’explication des impacts de l’IA constituent une part importante de notre mission.
Nous nous efforçons par ailleurs de diffuser ce format d’échanges sur l’IA au-delà notre ministère. Nous avons par exemple organisé un Café IA avec la Direction interministérielle du Numérique (DINUM), échangé avec des agents des ministères de l’Intérieur et des Outre-mer, ou encore avec des agents de la Gendarmerie nationale. En termes de participants, un bon nombre de ministères étaient représentés (affaires étrangères, justice, etc.). Cette diversité de profils en termes de participants met en lumière de nouvelles préoccupations et nous permet donc de mieux ajuster nos Cafés IA aux profils des participants.
En amont des séances, nous échangeons avec les intervenants qui sont des experts du sujet. Sans pour autant imposer un cadre, nous leur parlons des formats qui fonctionnent le mieux avec ces publics. L’intervention commence souvent par une introduction générale du sujet. L’étude d’un cas d’application lié au service public complète le format et permet ensuite d’envisager et de discuter collectivement des potentiels impacts sur le travail des agents. Les échanges s’étirent souvent au-delà de l’heure prévue et laissent place à des discussions informelles qui représentent des moments clés des Cafés IA.
Ces Cafés IA sont enfin organisés à moindre coût puisque les intervenants sont bénévoles. Ce qui permet de démontrer en passant que partout au sein des administrations publiques, des experts et intervenants potentiels sont capables de participer à l’appropriation de l’IA et de la technologie. D’ailleurs, de plus en plus d’experts de l’IA se tournent vers nous pour pouvoir animer un échange sur leur sujet de prédilection, ce qui leur permet de partager leur expertise et d’obtenir de la visibilité.
Vous réalisez également des interventions à destination des publics scolaires ?
Tout à fait. C’est parti du programme « Numérique, des métiers pour toutes », lauréat au plan de relance 2022 dont la vocation est d’encourager les filles à s’engager dans des filières numériques encore très masculines. Pour intervenir auprès des plus jeunes publics, mais également auprès des personnes de tout âge, nous avons créé de nombreux formats pédagogiques et ludiques : escape games, serious games, jeux de plateau, quizz, etc. À ce jour et à titre d’exemple, nous proposons 4 escapes games différents et avons touché plus de 2500 élèves. Toutes ces interventions complètent ou peuvent nourrir des temps comme les Cafés IA : nous en avons par exemple proposé un à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2024 consacré aux biais de genre auprès de lycéens.
Comment projetez-vous la suite de vos Cafés IA?
Aujourd’hui plus que jamais, mettre à disposition des espaces d’information et d’échange accessibles à tous autour de l’IA s’impose. Nos Cafés IA vont fêter leurs un an et nous souhaitons continuer à en organiser. Nous prévoyons de poursuivre à la fois nos échanges mensuels thématiques pour les agents de la fonction publique et nos ateliers pour les publics scolaires, dans le cadre de notre programme. Nous souhaitons conserver un nombre de participation en dessous de 100 afin de conserver un mode participatif et favoriser l’organisation de cafés IA en région, où le ministère des Armées dispose d’emprises.
L’un des défis auquel nous sommes confrontés réside dans le niveau de vulgarisation à adopter lors de ces temps d’échange. En effet, nous rencontrons aussi bien des publics largement intéressés voire déjà formés sur ces sujets que des publics plus novices. À ce titre, nous avons pensé à mettre en place un système de gradation de la technicité des propos, par exemple sous forme d’étoiles.
En tant qu’organisatrices de Cafés IA, comment imaginez-vous la manière dont votre dispositif puisse passer à l’échelle nationale ?
Pour passer à l'échelle l'organisation de nos Cafés IA, nous recommandons de constituer un réseau d'ambassadeurs qui seront les porte-paroles de l'initiative dans leur organisation respective. Il est essentiel de valoriser l'appartenance à ce réseau en offrant des avantages et des reconnaissances aux ambassadeurs, renforçant ainsi leur engagement.
Par ailleurs, adopter une approche partenariale en collaborant avec des collectifs d'entreprises engagées ou des consortiums peut contribuer à la production de solutions innovantes en matière d'IA. Mobiliser les experts prêts à partager leurs connaissances enrichira les débats et les discussions lors des événements CaféIA. Pour cela, il est crucial d'articuler les niveaux d'expertise et les publics afin de rendre ces événements accessibles et intéressants pour tous.
De plus, capitaliser sur les institutions locales pour promouvoir l'initiative et organiser les événements permettra de toucher un public plus large et de renforcer l'impact de CaféIA. À l'instar des affiches de concerts, il s'agit de rendre ces événements visibles et attractifs. Œuvrer pour que ces rencontres aient lieu dans des lieux emblématiques de la citoyenneté, comme les mairies, bibliothèques, et centres communautaires, renforcera leur légitimité.
Pour l'animation des discussions, il serait pertinent de former des binômes d'experts et de professionnels de l'animation afin de garantir la qualité et la fluidité des échanges. En complément, un bulletin citoyen, disponible en version numérique et papier, pourrait partager les retours des événements et tenir les participants informés des dernières avancées en IA. Une section dédiée sur une page web existante et fréquentée, telle que celle d'un service public, pourrait également être envisagée.
Enfin, prévoir un temps supplémentaire à la durée initialement prévue pour les événements permettra aux participants de prolonger les discussions, répondant ainsi à leur désir de partager et d'apprendre davantage.