Éducation aux médias et aux réseaux sociaux. Échange avec Jean-Baptiste Lusignan

Responsable prévention santé du Centre régional d'information et de prévention du sida Île-de-France (CRIPS), Jean-Baptiste Lusignan revient sur la place qu’occupe le numérique dans ses interventions en éducation à la sexualité en établissements scolaires.

Quel rôle occupe le CRIPS Île-de-France dans la dispensation de séances d'éducation à la sexualité ?

Le CRIPS est une association née en 1988 pour informer les professionnels sur l’épidémie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les former à la prévention. Très rapidement, nos thématiques se sont élargies à ce que nous appelons la santé sexuelle globale. Concrètement, nos animateurs de terrain sont formés à l’éducation et à la santé pour intervenir en établissement scolaire sur le sujet de l’éducation à la sexualité. Cette thématique très large permet d’aborder de nombreux sujets comme le VIH, les infections sexuellement transmissibles, le désir de couple et d’enfants, les émotions, les violences sexistes et sexuelles, etc.

La méthode que nous privilégions est le débat. En pratique, peu importe la raison pour laquelle un établissement scolaire fait appel à nous (cas d’agression, de cyberharcèlement, etc.), nous partons toujours de la grande thématique sexualité, en développant une approche positive. Pour lancer les interventions, nous disposons d’outils et de jeux comme des quizz, des jeux de positionnement, des “infos/intox”, des jeux de plateau, du jeu théâtral, de la projection débat, etc. Ces outils servent à développer les compétences psychosociales des élèves, à savoir l’esprit critique ou encore la résistance à la pression des pairs. A terme et dans l’idéal, l’animateur s’efface et l’échange se poursuit entre les élèves eux-mêmes. Notre objectif est qu’ils repartent avec des solutions qu’ils créent eux-mêmes, à l’aide des orientations que nous leur fournissons.

Favoriser l’échange et le dialogue entre élèves semble être central lors de vos séances. Quel regard portez-vous sur l’éducation par les pairs appliquée à l’éducation à la sexualité ?

L’éducation par les pairs est dans l’ADN du CRIPS depuis sa naissance puisque l’association a été créée par des médecins de santé publique avec l’intention de se former entre professionnels. Cette démarche s’est imposée plus tard auprès de jeunes avec le développement d’un programme qui leur proposait chaque année de faire eux-mêmes de la promotion auprès des élèves de leurs lycées. Nous nous sommes néanmoins rapidement heurtés à 2 écueils. L’initiative ne venant pas d’eux, leur engagement était biaisé par l’infirmière scolaire et restait souvent limité et temporaire. Pour ces deux raisons, nous avons arrêté ce programme en 2018. De cette expérience, nous avons conclu que l’éducation par les pairs est nécessaire mais ne peut être que complémentaire avec une autre forme d’éducation.

Par la suite, nous avons monté la démarche Jeunes engagés en santé pour les jeunes de 18 à 30 ans. L’action phare, c’est la couveuse du CRIPS : des étudiants se rencontrent pendant une année universitaire afin de mettre en place un programme d’ateliers pour leurs pairs. Nous avons aussi mis en place les Cahiers engagés qui abordent des thématiques en lien avec la santé et sont inspirés des cahiers de vacances. Nous les formons pendant 3 à 4 heures afin qu’ils utilisent ces contenus entre eux, dans leurs environnements.

L’éducation par les pairs entre parents est aussi un axe de développement pour nous. Nous essayons de sortir du modèle où on les informe uniquement pour développer un modèle où ce sont des parents qui parlent à d’autres parents. Les parents deviennent un public cible, comparé au public secondaire qu’ils étaient auparavant.

Quel regard portez-vous sur les contenus en ligne d’éducation à la vie affective, relationnelle et affective ?

Nous utilisons notre présence en ligne pour diffuser nos contenus et nos créations pédagogiques, en étant notamment présents sur les réseaux sociaux, par exemple sur Instagram ou TikTok. Nous avons aussi un format intitulé les Cahiers engagés dans lequel nous “parodions” des contenus masculinistes par le biais de courts métrages. Aujourd'hui, nous remarquons que la communauté éducative au sens large mobilise de plus en plus nos contenus. Depuis peu, nous cherchons aussi à atteindre des publics plus jeunes à travers de courtes vidéos. Nous restons cependant assez mal identifiés par les adolescents et jeunes adultes et travaillons à améliorer cela.

Au-delà des contenus que nous produisons, il nous arrive de mobiliser les contenus d’institutions publiques - ceux de l’Institut national du cancer ou de Santé publique France par exemple. Dans nos Cahiers engagés dédiés aux sujets Egalité Femme/Hommes, Écrans et réseaux sociaux et Bodypositive, nous recommandons des comptes sur les réseaux sociaux que nous trouvons pertinents. En revanche, nous avons choisi au CRIPS de ne montrer lors de nos interventions que des contenus en ligne qui ont été créés spécifiquement pour faire de la prévention. Nous choisissons des contenus nuancés, qui mènent à la réflexion.

Nos intervenants n'occultent pas pour autant les autres contenus. Il nous arrive d’en montrer pour créer des réactions chez nos publics ou alors si un élève nous l’évoque. En général, les élèves apportent eux-même la question des contenus. Il est aussi possible d’y faire référence, en demandant aux élèves ce qu’ils ont vu, et en échangeant autour de leur opinion sur ces sujets. Cette éducation aux médias peut nourrir beaucoup de débats allant de l’image de soi véhiculée par ces contenus, aux normes qu’ils entretiennent, en passant par l’influence qu’ils peuvent avoir. La formation des animateurs les invite naturellement à se nourrir de la parole des jeunes et de leurs intérêts.

Notre défi est de trouver comment faire de l’éducation aux médias et à l'information. Nous n’y sommes pas véritablement formés bien que nous possédions bien sûr un socle de connaissances qui nous permet d’apprendre à décrypter et à analyser ces contenus. L’intégration de contenus en ligne dans nos formats d’intervention est clé. Cela nous demande de nous questionner sur nos usages, de les décomplexer, et aussi de questionner les élèves, de leur demander des recommandations de contenus, d’influenceurs... Il y a une part de notre temps de travail, au minimum 1 à 2 heures par semaine, qui est consacrée à aller voir les contenus regardés par les adolescents. Nous nous les partageons entre nous pour savoir s'ils sont recommandables ou pas.


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