L'éducation à la sexualité en France et en Suède. Échange avec Élise Devieilhe

Elise Devieilhe, docteure en sociologie du genre, revient sur les approches de l’éducation à la sexualité en France et en Suède et s’intéresse aux initiatives en ligne qui permettent l’innovation pédagogique.

Vous avez écrit une thèse sur les représentations du genre et des sexualités dans les méthodes d'éducation à la sexualité élaborées en France et en Suède, quelles sont les principales limites du système français qui ressortent de vos travaux ?

Mes travaux remontent à quelques années et depuis lors, de nombreux progrès ont été réalisés notamment grâce au travail d’associations, comme le Planning Familial, les centres LGBTI et des associations féministes qui interviennent régulièrement en milieu scolaire.

Il n’existe pas de limites au niveau de la loi, c’est plutôt dans la mise en application de la loi qu’on peut en identifier plusieurs, qui s’expliquent par plusieurs facteurs. Le premier est le manque de responsabilité puisque les établissements scolaires qui n’appliquent pas la loi ne sont pas sanctionnés. Il y a également un manque de moyens humains. Généralement, ce sont les professeurs de science de la vie et de la terre et les infirmières scolaires qui assurent ces séances. Il est nécessaire que davantage de personnel éducatif soit formé. Notons aussi un manque de moyens logistiques car les emplois du temps sont chargés, surtout dans l’enseignement secondaire. Pour réussir à faire les trois séances obligatoires, il faut souvent remplacer des heures de cours. Évidemment, il y a aussi un manque de moyens financiers. Les heures réalisées en interne ne sont pas assez rémunérées, de même pour les associations extérieures. Enfin, le dernier facteur est le climat de crainte dans lequel évoluent des personnels éducatifs vis-à-vis des polémiques que peut susciter l’éducation à la sexualité. Nous avons besoin de mieux assumer nos valeurs républicaines, nos aspirations à l’égalité, à la liberté, à la lutte contre le harcèlement et de les enseigner à travers ces séances d’éducation à la sexualité.

Pour finir, l'une des principales limites au système français est le manque d’implication des principaux concernés – à savoir les enfants et les jeunes - dans la construction même des séances. Il est essentiel de se concentrer sur les préoccupations des jeunes adultes et adolescents. Les impliquer directement en partant de leurs questionnements, de leurs envies et de leurs besoins permettrait d’apporter des réponses à cette méfiance de la société civile. 

Quelles méthodes avez-vous pu observer en Suède qui permettraient d’enrichir l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle en France ?

En Suède, l’école est un acteur clé de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle depuis 1955, date à laquelle cet enseignement est devenu obligatoire. Cependant, en parallèle, deux grandes associations se sont saisies de cette thématique. Il s’agit de RFSU (Riksförbundet för Sexuell Upplysning - association nationale suédoise pour l’éducation à la sexualité) et RFSL (Riksförbundet för homosexuellas, bisexuellas, transpersoners, queeras och intersexpersoners rättigheter - association nationale pour les droits des homosexuels, bisexuels, transgenres, queers et intersexes). Ces associations sont indépendantes de l’État, mais elles n’en demeurent pas moins très institutionnalisées. RFSU existe par exemple depuis 1933 et l’État suédois lui reconnaît une expertise en termes d’éducation. 

Les personnels éducatifs suédois sont formés par l'Éducation nationale bien sûr mais aussi par RFSU et RFSL à partir de deux méthodes pédagogiques utilisées aujourd’hui pour tous les enseignements dispensés à l’école suédoise. La première méthode est la pédagogie inclusive. À partir de 2005/2006, cette pédagogie qui vise à s'assurer que l’humanité est toujours représentée à égalité, sans jugement de valeur et sans hiérarchisation s’est imposée dans la rédaction des programmes scolaires en Suède. La seconde méthode est la pédagogie critique des normes, qui implique d'appréhender les normes comme socialement construites, d’analyser comment elles sont produites et leurs impacts, notamment en termes de rapport de pouvoir. Ces deux théories sont appliquées dans les programmes scolaires de toutes les disciplines. Les formations à l’éducation à la sexualité sont devenues obligatoires en Suède pour tout le personnel enseignant en 2021. Il est également important de noter que l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle à l’école suédoise ne se cantonne pas aux séances dédiées. On en parle aussi au quotidien en classe, de manière informelle et on la retrouve sous forme de fil rouge dans tous les enseignements dispensés. 

Enfin, en Suède, l’école répond à un fonctionnement démocratique. Les familles, les enfants et le personnel éducatif dialoguent constamment. Dans ce rapport horizontal, les familles ont accès aux programmes scolaires à l’avance et sont préparées à ce que leurs enfants étudient et rapportent par la suite au domicile. Cela permet l’adhésion des familles aux programmes, et de diminuer les réticences quant aux enseignements à la vie affective, relationnelle et sexuelle.

Pensez-vous que les différentes initiatives d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle en ligne sont un moyen d’innover en termes de pédagogie et de sujets abordés ? 

Internet est un outil de diffusion décentralisé incroyable, mais cette efficacité est à double tranchant. On peut y trouver des discours transphobes, homophobes ou violemment misogynes. En parallèle, internet permet aussi à des groupes sociaux qui n’avaient pas accès à la parole et à l’espace public de partager des réflexions, par exemple sur la lutte contre la culture du viol, le féminisme, etc. Les réseaux sociaux ont aussi permis cette diffusion d’idées positives et de pistes de réflexion. Il y a encore beaucoup de travail à faire sur l’encadrement de ce qu’on peut ou ne peut pas dire en ligne et sur la régulation des réseaux sociaux. Il faut comprendre que ce qui se passe en ligne est “la vraie vie”, avec de réels impacts. Il est donc nécessaire d’améliorer les systèmes de modération sur les réseaux face à la prolifération de ces discours haineux.

Il y aurait également un intérêt à montrer les contenus publiés sur internet aux adolescents pour leur donner des repères et leur apporter un regard critique. L’objectif serait de proposer un contre-discours aux contenus masculinistes par exemple. Je suis favorable au fait que les institutions produisent des contenus, mais aussi qu’elles valorisent les contenus et les initiatives de la société civile. Le service public pourrait aussi s’engager en promouvant des contenus, à l’instar du programme Sexy Soucis de Diane Saint-Réquier. Aujourd’hui, ce sont surtout des femmes qui créent ces contenus en ligne. Il s’agit d’un travail invisible qui précarise ces travailleuses.

Lire l’entretien de Diane Saint-Réquier

Enfin, les réseaux sociaux représentent un nouveau moyen de diffusion et en ce sens, ils pourraient permettre de diffuser de nouvelles méthodologies pour l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Les pédagogies appliquées en Suède arrivent déjà en France, surtout la pédagogie inclusive puisque les créateurs de contenus produisent des contenus pour la plupart inclusifs. Il existe en ligne une constellation de contenus qui reflètent la diversité de la population. 


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