Quels dispositifs de vulgarisation pour comprendre l’intelligence artificielle ?
À Bordeaux, Cap Sciences propose de nombreuses actions de médiation et de vulgarisation scientifique. Retour sur les enjeux de vulgarisation et d’appropriation du numérique, et plus spécifiquement de l’intelligence artificielle.
Cap Sciences est un centre de culture technique et industriel situé à Bordeaux ; il accueille chaque année 150 000 visiteurs et part à la rencontre de 150 000 autres sur le territoire Aquitain. Raphaël Dupin en est le directeur, Nicolas Roussel est membre de son conseil d’administration, et directeur du centre Inria de l’Université de Bordeaux.
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L’intensification du discours médiatique entourant les intelligences artificielles génératives a-t-il eu une influence sur les dispositifs proposés par Cap Sciences ?
Historiquement, les centres de sciences se sont toujours intéressés aux sujets liés à l’intelligence artificielle, en évoquant les questions éthiques, la robotique, le rapport au langage… Récemment, le développement des réseaux sociaux et les perturbations qu’ils ont entraîné, en particulier chez les acteurs scolaires institutionnels, ont engendré un regain d’intérêt pour ces questions, que nous traitions sous l’angle des algorithmes, de la relation à l’autre… L’enjeu pour nous est surtout de dire quelque chose d’intelligent sur ces sujets, de sortir des lieux communs. Il y a un vrai besoin de parler d’intelligence artificielle à tout le monde, mais le sentiment d’urgence actuel fait qu’on finit vite sur les peurs, et pas forcément dans le réel.
Ces sujets entrent aussi en résonance avec notre modèle économique. En termes d’exposition ou d’événement organisés, et du point de vue du grand public, dans une logique de divertissement, les questions d’intelligence artificielle seront toujours moins intéressantes que les dinosaures par exemple… Mais pour investir ces sujets, on a plutôt développé de nombreuses collaborations, avec les collectivités, des institutions publiques, qui nous permettent de financer des actions vers les publics les plus éloignés ou dans les établissements scolaires. On peut aussi mobiliser des outils comme le pass culture dans les classes.
Comment faire de la vulgarisation autour des questions d’intelligence artificielle ?
Tout va dépendre du public ciblé et de son niveau de connaissance du sujet. Nous proposons plusieurs formats, qui vont pouvoir s’adapter en fonction des publics rencontrés.
Le premier message à faire passer, c’est « il faut vous y intéresser », et pour ça, pas besoin d’être spécialiste du sujet, il faut pouvoir expliquer que ça ne fonctionne pas comme on le croit, et ensuite renvoyer vers toutes les ressources qui existent, des moocs… C’est une première barre à passer, qui permet de se poser des questions.
Avec notre média en ligne, Curieux, on peut toucher un large public, avec trois millions d’abonnés, cinq à six publications par jour et plus de trente millions de vues par mois... Evidemment nous sommes obligés de nous adapter aux codes des réseaux sociaux, nous publions donc beaucoup de vidéos courtes sur des sujets précis. L’idée étant toujours d’intéresser, et d’éveiller la curiosité pour donner envie d’aller plus loin.
Si on travaille dans l’espace public, avec un public non-captif et beaucoup plus divers, on va essayer de créer un attroupement et d’ouvrir la discussion. Sur les marchés par exemple, on peut installer un stand de presse avec des fausses images générées par l’IA, ou proposer un porteur de paroles avec comme message « la technologie vous fait peur, ça nous intéresse. » Ces formats vont nous permettre de rencontrer des personnes qu’on ne verrait pas ailleurs. Ils permettent aussi d’apporter un peu de fond mais impliquent tout de même de rester, le plus souvent, sur des questionnements plus que sur de l’apprentissage. Mais planter ces graines, c’est déjà incroyable !
Le premier message à faire passer, c’est « il faut vous y intéresser », et pour ça, pas besoin d’être spécialiste du sujet
L’aspect ludique permet d’attirer le public mais n’est parfois pas pertinent dans le cadre des publics captifs. Lors d’une intervention en entreprise, par exemple, on a surtout besoin que les salariés aient compris le fonctionnement des intelligences artificielles, et puissent les intégrer à leur quotidien, pas qu’ils vivent une expérience ludique. Avec ces publics captifs, dans le cadre scolaire par exemple, on aura le temps de dérouler une présentation plus construite, et sur une heure, on peut faire un travail de fond, faire expérimenter, toucher, apprendre les bases, et debunker les idées reçues.
Le niveau suivant, c’est l'organisation de conférences, des rencontres avec des chercheurs d’Inria par exemple, qui partagent une expertise, on sait que les personnes qui seront présentes dans la salle auront déjà un intérêt, un avis sur la question, un certain niveau de connaissance.
Ciblez-vous spécifiquement certains publics ?
Nous portons une attention spécifique aux enseignants, parce que nous avons une plus grande capacité d’action auprès d’eux, avec des gammes d’ateliers dans lesquels ils peuvent venir piocher, en physique ou à distance. La région nous a également confié une mission pour créer 40 ateliers de médiation à distance qui doivent permettre de toucher 30 000 élèves par an, sur tous les sujets scientifiques et notamment l’IA, l’éthique robotique, les nouveaux métiers du numérique…
La formation des élus serait aussi importante, ce sont des personnes à qui on demande toujours d’avoir un avis éclairé sur tout, et qui s’interrogent par ailleurs sur l’impact de l’intelligence artificielle sur leur territoire, sur l’intelligence de leur ville, sur la formation… C’est une cible qui est très difficile à atteindre, qui a peu de temps. Nous devons inventer les formats d’échange avec eux sur ces enjeux essentiels…
Sur toutes ces questions, il serait intéressant de pouvoir s’inscrire dans des formats récurrents, des formations professionnelles qui ont lieu chaque année, ou celles dispensées aux futurs enseignants, par exemple. Il y a là un levier réglementaire porteur d’une vraie capacité de mise à l’échelle.