« Notre slogan, c’est "Osez soulever le capot de la machine" »

Implantée au sein de la technopole de Sophia Antipolis, la Maison de l’intelligence artificielle accompagne un phénomène d’appropriation massif. Entretien avec Isabelle Galy, sa directrice.

La Maison de l’intelligence artificielle (MIA), existe depuis 2020. Elle a été créée par le département des Alpes-Maritimes à l’initiative de son président Charles-Ange Ginesy pour accompagner l’émergence d’une culture IA pour l’ensemble des citoyens. A l’occasion d’un déplacement à Antibes et Sophia Antipolis, le Conseil a récemment rencontré sa présidente, Isabelle Galy, pour évoquer l’appropriation par le plus grand nombre aux enjeux portés par l’intelligence artificielle, et l’évolution de la MIA ces dernières années.

Retour sur le déplacement du Conseil à Antibes et Sophia Antipolis

Quel est le rôle de la Maison de l’intelligence artificielle ?

Notre objectif premier est de faire de la Côte d’Azur une terre d’intelligence artificielle, ce qui implique d’acculturer le plus grand nombre et de promouvoir le secteur. Nous avons avant tout à cœur d’éviter que cette nouvelle révolution génère une nouvelle fracture. Pour y parvenir, nous essayons d’éviter les silos, nous tâchons de mélanger les publics, de faire venir le plus de monde dans nos locaux… et nous avons la chance d’avoir un écosystème IA très développé sur lequel nous pouvons nous appuyer. En 2024, notre objectif est de rencontrer 35 000 personnes. Nous avons délibérément opté pour une acculturation en présentiel et synchrone car cela permet une interaction plus riche avec nos publics, de mieux les connaitre, de suivre l’évolution des usages qu’ils font de l’IA et surtout de tout de suite désamorcer les crispations et les peurs. Nous répondons ainsi aux questions de chacun.

Comment toucher tous les publics ?

Notre ambition est de parler à tout le monde mais nous avons priorisé trois types de public : les collèges pour les scolaires, les seniors pour le grand public et les acteurs économiques traditionnels pour les publics professionnels.

Avec les scolaires : Trouver les bonnes références culturelles pour leur parler et développer des talents

A l’heure actuelle, 70 % des collèges des Alpes-Maritimes ont déjà été en lien avec la MIA ! Au début du projet, les élèves devaient venir à Sophia Antipolis, mais aujourd’hui nous nous déplaçons beaucoup, nous allons dans les établissements et nous proposons des formats plus courts, deux ou trois heures qui sont plus facile à mettre à leur agenda. Nous commençons par un échange qui permet de leur donner une représentation juste de ce qu’est l’intelligence artificielle, avant de leur proposer d'interagir de façon déconnectée avec l’IA afin d’éviter les problèmes de réseaux ou de création de compte. Nous proposons également une application web qui leur permet de continuer leur exploration à la maison s’ils le souhaitent. Et nous les invitons à revenir un samedi en famille.

L’objectif principal est de développer les talents pour l’IA de demain, qu’ils comprennent l’intérêt de continuer les mathématiques, mais aussi la maitrise de la langue française, qui est un élément fondamental quand on parle des intelligences artificielles génératives. Nous sommes contraints de faire évoluer en permanence nos outils de médiation car en travaillant avec des jeunes nous devons nous adapter à leurs références culturelles qui changent tout le temps. Des robots qui rêvent de moutons électriques, cela ne leur parle pas !

Avec les publics seniors : être inclusif et anticiper l’évolution des services publics

Nous avons voulu les cibler pour deux raisons. D’abord, parce que les personnes âgées et notamment les grands-parents sont souvent mobilisés pour s’occuper des enfants après l’école ou pendant les vacances. C’est donc important qu’ils les soutiennent lorsqu’ils parlent de travailler dans ces secteurs plus tard, plutôt que de s’entendre dire “tu devrais faire un vrai métier”. Ensuite, parce que beaucoup de choses vont être modernisées avec l’IA, y compris les services publics. Il faut que l’ensemble de la population soit en capacité d'interagir avec ces services lorsque ce sera fait, et en particulier nos seniors.

Concrètement, nous commençons généralement par leur proposer une présentation ce qu’est l’IA puis un focus sur ChatGPT dont ils entendent beaucoup parler. Ensuite, nous faisons un tour des démonstrateurs, où nous avons plusieurs exemples d’outils, y compris adaptés à leur profil, comme un service de surveillance pour le maintien à domicile des seniors isolés, ou une peluche de zoothérapie.

Les personnes âgées que nous rencontrons sont aussi demandeuses d’éléments sur des sujets spécifiques, par exemple la peur de se faire arnaquer en ligne et comment l’IA pourrait les assister pour repérer les arnaques , ou le fait de pouvoir affronter la mort, passer le deuil quand l’humain n’aide pas à le faire… C’est finalement parfois éloigné de ce que les startups imaginent de leurs attentes.

Avec les publics professionnels : favoriser les cas concrets et apprendre de nos publics

Nous sommes parvenus à embarquer les publics professionnels via de nombreux groupements professionnels : le BTP, les boulangers, les DRH, les directeurs commerciaux, les professionnels de la communication… Ils n'attendent pas que l’on imagine leurs peurs à leur place mais plutôt des réponses à leurs questions et des exemples concrets pour comprendre ce que cela peut changer dans leurs métiers, voire des solutions propres à leurs problèmes.

Avec ces publics, nous proposons aussi un format spécifique, le “IA lunch” : un quart d’heure de présentation du thème du jour par un expert, suivi de trois quarts d’heure de débat sur la pause déjeuner. C’est un format qui permet à chacun de venir et d’échanger de manière informelle, y compris quand le sujet n’a pas l’air a priori lié à leur travail quotidien. Le programme est très large et, nous ne nous refusons aucun sujet ; récemment, les échanges ont porté sur les liens entre IA et sexisme, manipulation politique, marketing durable… Pour notre prochaine session, nous allons débattre sur ce que nous pouvons faire de tout le temps de travail récupéré grâce aux gains de productivité induits par l’IA.

De notre côté, il y a aussi un enjeu à nous former en permanence. A l’arrivée de Chat GPT, il était difficile de répondre aux questions des professionnels alors que nous étions nous-mêmes en train de nous approprier l’outil, de comprendre son fonctionnement… Mais le fait d’accueillir des publics a permis aux médiateurs de développer encore plus leurs connaissances. C’est un apprentissage qui se fait évidemment aussi au contact de l’écosystème qui nous entoure. Le 3IA Côte d’Azur et l’association ClusterIA qui réunit nos startups nous aident énormément à progresser.

Comment accompagner les publics face à cette peur ?

Il faut entendre les peurs, c’est un point d’entrée important sur nos sujets. Trois types de craintes peuvent être mobilisés comme leviers : la peur du remplacement, avec les questions d’employabilité ; celle de la perte du lien social et enfin, il y a le fantasme du robot tueur, véhiculé par la culture populaire et les médias. Notre objectif est de transformer ces peurs en leviers d’acculturation.

Les personnes qui viennent à la MIA ont déjà lu le journal, regardé des émissions à la télévision… qui parlent de ces sujets, ils ont entendu parler des dangers, ce n’est pas sur ce point que nous avons à les former, bien qu’ils soient parfois inconscients de la manière dont ils peuvent se mettre individuellement en danger vis-à-vis de l’IA. 
Pour répondre à cette première approche de l’outil, centrée sur ses risques, « nous essayons de donner la vision la plus exacte et complète possible de ce qu’est l’IA afin que les imaginaires se construisent sur de bonnes bases. » Nous parlons de tout : du fonctionnement de l’IA, de ses implications juridiques, des biais… Notre slogan, c’est “Osez soulever le capot de la machine” ! A la sortie de la MIA, lorsque les personnes ont le sentiment qu’ils maîtrisent un peu mieux le sujet, on voit que les peurs commencent à s’estomper, ils deviennent eux-mêmes des passeurs de savoir.

 

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